
La frustration face à la couverture médiatique ne vient pas tant d’un simple « biais » que de mécanismes de production et de cadrage que l’on ignore souvent.
- Le choix des mots (« émeute » vs « fête ») et la hiérarchie visuelle de la « une » d’un journal cadrent activement votre perception d’un événement.
- Les empires médiatiques québécois, comme Québecor, et les routines de production des nouvelles façonnent structurellement l’information avant même qu’elle ne vous atteigne.
Recommandation : Apprenez à décoder ces mécanismes pour passer du statut de simple consommateur d’information à celui de citoyen à l’esprit critique aiguisé.
Vous suivez un enjeu de près, lisez plusieurs articles, écoutez les nouvelles, et pourtant, un sentiment de frustration persiste. L’impression que les médias ne racontent pas toute l’histoire, qu’ils déforment la réalité, ou pire, qu’ils servent un agenda caché. Cette frustration est légitime. Face à elle, le conseil habituel est de « varier ses sources », une recommandation juste mais souvent insuffisante. Car comparer deux articles, c’est comme comparer deux plats sans connaître la recette ni la cuisine d’où ils proviennent.
La véritable clé n’est pas seulement de constater les différences, mais de comprendre pourquoi elles existent. Et si la solution n’était pas de dénoncer un « biais » de manière générale, mais plutôt d’acquérir une grille d’analyse, des outils concrets pour décortiquer la fabrique de l’information ? Cet article propose de vous équiper. Il ne se contente pas de pointer du doigt, il explique les mécanismes. En agissant comme un traducteur du discours médiatique, nous allons explorer les rouages de la machine : du choix d’un simple mot à la structure des empires médiatiques québécois.
L’objectif est de transformer votre frustration en une compétence d’analyse. Vous apprendrez à identifier le cadrage, à questionner la hiérarchie de l’information et à comprendre les contraintes qui pèsent sur les journalistes. En bref, vous apprendrez à lire entre les lignes, non pas pour y trouver un complot, mais pour y déceler la mécanique complexe et fascinante de la construction de notre réalité collective.
Pour ceux qui préfèrent un cas d’étude concret en format vidéo, l’analyse suivante décortique la couverture d’un enjeu international par les médias québécois, illustrant plusieurs des principes que nous allons aborder.
Pour vous guider dans cette démarche d’analyse, nous allons procéder par étapes, en partant des éléments les plus visibles de l’information pour remonter jusqu’aux structures qui les déterminent. Cet article vous servira de véritable manuel pour développer votre esprit critique face aux médias.
Sommaire : Décoder la fabrique de l’information au Québec
- La manifestation : pourquoi un média la présente comme une « émeute » et l’autre comme une « fête populaire »
- Ce que la « une » de votre journal vous dit (et surtout, ce qu’elle vous cache)
- « Selon une source proche du dossier » : qui parle vraiment dans les articles de presse (et faut-il les croire ?)
- L’art de noyer le poisson : comment les communicateurs de crise manipulent les journalistes (et vous)
- La crise locale vue de Paris, de Montréal et de la région : trois planètes, un seul événement
- La même nouvelle, deux réalités : comment La Presse et le Journal de Montréal vous racontent une histoire différente
- Dans le secret de la « réunion de 10h » : comment votre journal décide de ce que vous devez penser d’une nouvelle
- Qui façonne votre opinion ? Plongée au cœur des empires médiatiques québécois
La manifestation : pourquoi un média la présente comme une « émeute » et l’autre comme une « fête populaire »
Le premier outil de l’analyste médiatique est le dictionnaire. Le choix des mots n’est jamais neutre; il est le premier acte de cadrage sémantique. Décrire un rassemblement comme une « fête populaire » évoque la joie et la légitimité citoyenne. Le qualifier d' »émeute » le place immédiatement dans le champ de l’illégalité et de la violence. Pourtant, la définition légale est précise : au Canada, une émeute est un attroupement illégal qui a commencé à troubler la paix tumultueusement, selon l’article 64 du Code criminel. L’usage médiatique de ce terme est souvent plus subjectif et stratégique que juridique.
Le « Printemps érable » de 2012 au Québec en est un exemple classique. Une analyse du Centre d’études sur les médias de l’Université Laval a révélé que la couverture du journal Le Devoir était nettement plus favorable aux étudiants, utilisant un vocabulaire axé sur le mouvement social et la contestation, tandis que d’autres quotidiens adoptaient une perspective plus critique, se concentrant sur les perturbations.
Étude de cas : La couverture du « Convoi de la liberté » à Ottawa en 2022
Cet événement illustre parfaitement le cadrage différencié. Le 29 janvier 2022, au plus fort de la manifestation, les estimations variaient déjà, Le Devoir parlant de 3000 camions et jusqu’à 15 000 personnes. Au-delà des chiffres, le cadrage était radicalement différent : certains médias mettaient en avant les « camionneurs » et la « liberté », conférant aux manifestants un statut de travailleurs légitimes. D’autres, au contraire, se focalisaient sur les « perturbations », les « groupes extrémistes » et les « affiliations controversées », changeant complètement la nature perçue de l’événement. Le statut attribué aux acteurs principaux a dicté la tonalité de toute la couverture médiatique.
En analysant le lexique utilisé, on ne détermine pas « qui a raison », mais plutôt « quelle histoire chaque média choisit de raconter ». Le choix entre « manifestant », « contestataire », « casseur » ou « citoyen engagé » n’est pas un simple détail, c’est le fondement de la narration qui vous est proposée.
Ce que la « une » de votre journal vous dit (et surtout, ce qu’elle vous cache)
Après les mots, vient la hiérarchisation de l’information. La « une » d’un journal, qu’elle soit de papier ou numérique, est la forme la plus puissante de cette hiérarchisation. Ce qui y figure est jugé important; ce qui en est absent est, par définition, secondaire. Cette sélection n’est pas un reflet neutre de la réalité, mais une décision éditoriale qui façonne l’agenda public. L’influence de cette mise en scène est considérable quand on sait que, selon une enquête de 2024, les journaux de Québecor (Le Journal de Montréal et Le Journal de Québec) rejoignent à eux seuls 30% des francophones canadiens, suivis par La Presse avec 25%.
Le format numérique a rendu cette mise en scène encore plus sophistiquée. Les plateformes comme La Presse+ ne se contentent pas de choisir un titre et une photo ; elles créent une expérience interactive où la taille des tuiles, les animations et les vidéos guident l’attention du lecteur. Un sujet peut être « caché » non pas en étant absent, mais en étant placé plus bas, sans image, ou avec un titre moins accrocheur.

Analyser la « une », c’est donc se poser une série de questions critiques. Pourquoi cet événement-ci et pas un autre ? Quelle est la taille relative accordée à chaque nouvelle ? Quelle émotion la photo principale cherche-t-elle à susciter ? La réponse à ces questions en dit souvent plus sur la ligne éditoriale du média que le contenu des articles eux-mêmes.
Votre plan d’action pour décortiquer la une d’un média
- Points de contact : Analysez le titre principal, la photo centrale, les autres titres en manchette et leur positionnement. Qu’est-ce qui capte le regard en premier ?
- Collecte : Inventoriez les mots-clés dominants dans les titres (ex : « crise », « scandale », « espoir », « solution »). Quelle est la tonalité générale ?
- Cohérence : Confrontez le choix de la « une » avec votre connaissance des enjeux actuels. Un sujet d’importance est-il minimisé ou absent ? Un sujet secondaire est-il surreprésenté ?
- Mémorabilité/émotion : Identifiez l’émotion principale que la « une » cherche à provoquer (peur, indignation, curiosité, fierté). L’image principale est-elle factuelle ou chargée émotionnellement ?
- Plan d’intégration : Comparez la « une » du jour avec celle d’un média concurrent. Quelles sont les divergences majeures et que révèlent-elles sur leurs priorités et leur public cible ?
« Selon une source proche du dossier » : qui parle vraiment dans les articles de presse (et faut-il les croire ?)
L’expression « source anonyme » ou « source proche du dossier » est l’un des aspects les plus controversés du journalisme. Pour le lecteur, elle est source de méfiance : qui parle ? Pourquoi se cache-t-il ? Pour le journaliste, c’est un outil parfois indispensable pour révéler des informations d’intérêt public qui, autrement, resteraient secrètes. Loin d’être une pratique arbitraire, l’utilisation de sources anonymes est encadrée par des règles déontologiques précises, comme celles du Conseil de presse du Québec.
Un journaliste ne devrait recourir à l’anonymat que si plusieurs conditions sont remplies :
- L’information doit servir l’intérêt public de manière significative.
- Il est impossible d’obtenir cette information par d’autres moyens.
- La source risque de subir un préjudice sérieux (perte d’emploi, poursuites, etc.) si son identité est révélée.
- Le journaliste doit décrire la source de la manière la plus transparente possible (ex: « un haut fonctionnaire », « un membre du cabinet ») pour permettre au public d’évaluer sa crédibilité sans pour autant l’identifier.
Cette tension est essentielle, comme le rappelle l’expert en relations publiques Daniel Nadeau, pour qui les fuites et les sources confidentielles sont des outils cruciaux pour que les médias puissent « dénoncer les coquins », dans la tradition du fondateur du Devoir, Henri Bourassa. Le cas de l’enquête Mâchurer de l’UPAC est un exemple québécois frappant des enjeux et des dérives possibles.
Étude de cas : Les fuites de l’UPAC et la poursuite de Jean Charest
En avril 2017, des informations confidentielles de l’enquête policière Mâchurer visant l’ex-premier ministre Jean Charest ont été divulguées dans les médias. Ces fuites, provenant de sources anonymes au sein de l’appareil policier, ont eu un impact majeur sur la perception publique et la vie de M. Charest. Un jugement de 2023 a finalement condamné le gouvernement du Québec à verser 385 000 $ en dommages pour cette violation de confidentialité qualifiée de « faute lourde ». Ce cas illustre le pouvoir immense d’une source anonyme : elle peut révéler un scandale, mais aussi détruire une réputation et violer des droits fondamentaux si elle est utilisée à mauvais escient.
Pour le lecteur critique, la mention d’une source anonyme doit donc déclencher un réflexe d’analyse, pas un rejet automatique. Il faut se demander : l’information est-elle d’un réel intérêt public ? Le média explique-t-il pourquoi l’anonymat est nécessaire ? La description de la source permet-elle de jauger sa position et ses potentiels intérêts ?
L’art de noyer le poisson : comment les communicateurs de crise manipulent les journalistes (et vous)
Les journalistes ne sont pas les seuls à construire l’information. Face à eux se trouvent les communicateurs, dont le métier est de gérer l’image de leur organisation, surtout en temps de crise. Leur objectif n’est pas la vérité journalistique, mais le contrôle du narratif. Un communicateur de crise efficace ne ment pas forcément, mais il maîtrise l’art de « noyer le poisson » : admettre une partie du problème pour en minimiser l’ampleur, utiliser des éléments de langage rassurants, ou encore détourner l’attention vers un autre sujet.
Un exemple magistral de communication de crise réussie au Québec reste les points de presse quotidiens de François Legault durant la pandémie de COVID-19. Comme le souligne le stratège Jean Gosselin, ce rendez-vous de 13h est devenu un cas d’école. En offrant un accès régulier, en montrant de l’empathie et en contrôlant le message, le gouvernement a réussi à rassurer la population et à dominer l’agenda médiatique, malgré une situation sanitaire parfois chaotique. La répétition et la discipline du message ont eu raison de bien des critiques.
À l’inverse, l’histoire médiatique québécoise est marquée par l’un des pires exemples de gestion de crise imaginable, celui de la compagnie ferroviaire Montreal, Maine and Atlantic (MMA) après la tragédie de Lac-Mégantic.
Étude de cas : La gestion de crise catastrophique de MMA après Lac-Mégantic
Après le déraillement qui a coûté la vie à 47 personnes en juillet 2013, la gestion de MMA a été un désastre qui a amplifié la tragédie. Dans les premières 24 heures, seul un communiqué en anglais a été publié. Il a fallu 60 heures pour qu’un dirigeant contacte la mairesse, et quatre jours pour que le président, Ed Burkhardt, se rende sur place. La communication de l’entreprise a été marquée par le déni, le rejet du blâme et des discours contradictoires. Le comble du mépris fut un communiqué en français si mal traduit par un logiciel qu’il en était incompréhensible. Cette gestion illustre toutes les erreurs à ne pas commettre : silence, lenteur, manque d’empathie et déresponsabilisation.
Face à une communication de crise, le citoyen critique doit apprendre à décoder les stratégies. Le silence est-il une stratégie ? L’entreprise exprime-t-elle de la compassion ou se contente-t-elle de « regretter les inconvénients » ? Assume-t-elle la responsabilité ou cherche-t-elle des boucs émissaires ?
La crise locale vue de Paris, de Montréal et de la région : trois planètes, un seul événement
L’importance d’un événement n’est pas absolue, elle est relative à la distance qui nous en sépare. C’est le principe de l’économie de l’attention médiatique. Une crise locale, même dramatique pour les communautés touchées, peut rester invisible aux yeux du reste du monde si elle ne franchit pas un certain seuil de pertinence pour un public plus large. Les échelles de couverture – locale, nationale, internationale – fonctionnent comme des filtres qui ne retiennent que certains aspects d’une même réalité.
Les feux de forêt historiques qui ont ravagé le Québec durant l’été 2023 en sont une illustration parfaite. Au niveau local et québécois, la couverture se concentrait sur le drame humain et écologique. Un rapport d’Ouranos a chiffré l’ampleur de la catastrophe : plus de 8 milliards de dollars de coûts, 4,3 millions d’hectares brûlés et, surtout, 26 932 personnes évacuées de 26 municipalités et communautés autochtones. C’était l’histoire de familles déplacées, de forêts détruites, et d’économies régionales à genoux.

Étude de cas : La « newyorkisation » des feux de forêt québécois
Pendant des semaines, cette crise est restée largement une affaire québécoise et canadienne. L’événement n’est devenu une nouvelle internationale majeure que lorsque les fumées ont atteint la côte est américaine, plongeant la ville de New York dans un brouillard apocalyptique. Soudainement, les médias du monde entier se sont intéressés aux « Canadian wildfires ». L’angle a changé : le problème n’était plus la destruction de la forêt boréale ou l’évacuation de communautés autochtones, mais la qualité de l’air pour 100 millions d’Américains. La crise locale n’est devenue « visible » qu’en affectant un centre de pouvoir médiatique mondial.
Cet exemple démontre qu’un événement n’existe médiatiquement que s’il peut être « traduit » dans un langage et des préoccupations qui intéressent une audience plus large. Pour l’analyste critique, cela signifie qu’il faut toujours se demander : de quel point de vue cette histoire est-elle racontée ? Quels aspects de l’événement sont mis en lumière, et lesquels restent dans l’ombre de la couverture médiatique dominante ?
La même nouvelle, deux réalités : comment La Presse et le Journal de Montréal vous racontent une histoire différente
Même au sein d’une même ville et sur un même sujet, les médias peuvent présenter des narratifs radicalement opposés. Cette divergence n’est pas un accident, elle est le reflet de leur ligne éditoriale et du public qu’ils ciblent. Au Québec, la comparaison entre La Presse et Le Journal de Montréal est un exercice d’analyse particulièrement éclairant. Bien que les deux soient des acteurs majeurs du paysage médiatique, rejoignant une part significative de la population (selon des données de Vividata, 50% de la population adulte du Québec lit régulièrement un quotidien), leurs approches diffèrent souvent du tout au tout.
La Presse, devenue un OBNL, cible généralement un lectorat urbain, progressiste et éduqué, avec une approche souvent nuancée et analytique. Le Journal de Montréal, vaisseau amiral de l’empire Québecor, s’adresse à un public plus large et populaire, avec un ton plus direct, souvent axé sur l’opinion, la proximité et les enjeux identitaires.
Étude de cas : La controverse SLĀV de Robert Lepage
En 2018, la controverse entourant le spectacle SLĀV, accusé d’appropriation culturelle, a mis en lumière ces différences. Alors que la plupart des médias, y compris Le Devoir, titraient sur le fait que « Robert Lepage fait son mea culpa », Le Journal de Montréal prenait le contre-pied avec un titre sans équivoque : « Robert Lepage n’a pas de mea culpa à faire ». L’angle était totalement différent. D’un côté, une exploration des enjeux de diversité et de représentation, en phase avec les critiques. De l’autre, une défense de la liberté d’expression de l’artiste, en phase avec un lectorat souvent exaspéré par la « culture de l’annulation ». Le même événement a ainsi servi de support à deux conversations publiques parallèles, mais distinctes.
Ces choix ne relèvent pas de la « fausse nouvelle », mais d’un cadrage délibéré qui répond aux attentes et aux valeurs de leurs lectorats respectifs. Comprendre cela permet de lire non seulement l’article, mais aussi le dialogue que le média entretient avec sa communauté de lecteurs.
Dans le secret de la « réunion de 10h » : comment votre journal décide de ce que vous devez penser d’une nouvelle
Avant qu’un journaliste n’écrive la première ligne, une série de décisions cruciales ont déjà été prises. La plus célèbre est la « réunion de 10h », ce rituel où les rédacteurs en chef et les chefs de pupitre décident des sujets qui seront couverts, de l’angle à adopter et des ressources à y allouer. Ces routines de production sont le moteur invisible de la salle de nouvelles et expliquent en grande partie pourquoi certaines histoires font la une et d’autres non.
La mission même du média influence ces décisions. Un diffuseur public comme Radio-Canada, avec un mandat pancanadien et une obligation de « refléter la diversité régionale », n’aura pas les mêmes priorités que Québecor, une entreprise privée dont la logique est la rentabilité et la convergence de ses actifs (médias, télécoms, spectacles). Une recherche menée en 2007 auprès de journalistes québécois montrait déjà que la majorité d’entre eux estimaient que la concentration et la convergence nuisaient à la qualité et à la diversité de l’information.
Une autre contrainte structurelle est la géographie. Le Conseil de presse du Québec a souvent souligné le phénomène de « montréalisation » de l’information, où la surreprésentation des nouvelles de la métropole se fait au détriment des régions. C’est un biais non pas idéologique, mais structurel : il est plus simple et moins coûteux de couvrir ce qui se passe près des grandes salles de nouvelles. Des programmes comme l’Initiative de journalisme local du gouvernement canadien tentent de pallier ce manque en finançant des postes de journalistes dans des communautés sous-desservies, mais le déséquilibre demeure.
Le citoyen critique doit donc comprendre que la couverture médiatique est aussi le produit de contraintes très pratiques : le budget, le temps disponible, la géographie et la culture interne de la salle de nouvelles. L’absence d’un sujet dans le journal ne signifie pas toujours un complot, mais parfois simplement qu’il n’a pas « survécu » à la réunion de 10h.
À retenir
- Le cadrage médiatique, par le choix des mots et des images, n’est pas un simple « biais » mais une technique active de construction du récit.
- La structure de propriété des médias (convergence, concentration) et les routines de production internes influencent le contenu de l’information bien avant sa publication.
- L’analyse critique des médias n’est pas une quête de la « vérité absolue », mais une compétence qui s’apprend pour décoder les différents récits et comprendre leurs origines.
Qui façonne votre opinion ? Plongée au cœur des empires médiatiques québécois
En remontant la chaîne de production de l’information, on arrive inévitablement à la question de la propriété. Qui possède les médias qui nous informent ? Au Québec, le paysage est marqué par une forte concentration de la presse et un phénomène de convergence médiatique, où un même groupe détient des entreprises dans plusieurs secteurs (presse, télévision, radio, télécommunications, divertissement). L’empire Québecor est l’exemple le plus emblématique de ce modèle.
Québecor n’est pas seulement Le Journal de Montréal et le réseau TVA. C’est aussi Vidéotron, l’un des plus grands fournisseurs de télécommunications au Québec, ainsi que des intérêts dans le sport et le spectacle. Cette convergence crée des synergies commerciales puissantes, mais soulève aussi des questions de conflits d’intérêts potentiels. Comment un média appartenant à Québecor peut-il couvrir de manière totalement indépendante un enjeu réglementaire dans les télécoms qui affecterait Vidéotron ?
La puissance de ces empires est souvent soutenue par des acteurs financiers majeurs. Lors de l’acquisition de Vidéotron en 2000, Québecor a reçu un appui crucial de la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ), qui a agi au nom du « nationalisme économique ». La Caisse, qui gère les fonds de retraite de millions de Québécois, est un géant financier. En 2017, elle était actionnaire d’au moins 715 entreprises. Son influence, bien que discrète, est une composante structurelle de l’économie et des médias québécois.
Face à ces empires, des modèles alternatifs émergent. Des médias indépendants comme Pivot (anciennement Ricochet) tentent de proposer une information différente, en abordant des sujets délaissés par les grands groupes et en fonctionnant sur un modèle non-lucratif ou coopératif. Comme le souligne leur équipe, ils se sont faits un devoir de couvrir des enjeux comme le racisme systémique ou les questions autochtones « bien avant que les autres médias ne s’y mettent ». Ces voix, bien que moins puissantes, sont essentielles à la diversité de l’information.
Pour mettre ces outils en pratique, l’étape suivante consiste à appliquer cette grille d’analyse à votre consommation quotidienne d’information. Commencez dès aujourd’hui à décortiquer les mots, à questionner la hiérarchie et à identifier les acteurs derrière les nouvelles que vous lisez.