Publié le 11 mars 2024

La crise des médias locaux au Québec n’est pas une fatalité financière, mais le symptôme d’un écosystème déséquilibré que les citoyens peuvent activement réformer.

  • Le modèle économique historique, basé sur la publicité papier, est structurellement brisé et irrécupérable.
  • La forte concentration médiatique crée un biais métropolitain, où l’agenda de Montréal domine l’information nationale.
  • Le soutien passif sur les réseaux sociaux (un simple « like ») est devenu largement inefficace pour la survie d’un média.

Recommandation : Transformez votre rôle de consommateur passif en soutien actif en vous abonnant à l’infolettre de votre média local, en cliquant sur les liens menant à son site web et en envisageant un abonnement payant.

La nouvelle tombe, sèche et prévisible : le journal hebdomadaire qui couvrait votre région depuis des décennies met la clé sous la porte. Une vague de nostalgie vous envahit, suivie d’un sentiment d’impuissance. On pointe souvent du doigt les mêmes coupables : la migration des revenus publicitaires vers les géants du web comme Google et Facebook, ou encore le désintérêt supposé des nouvelles générations pour le papier. Ces constats, bien que réels, ne sont que la partie émergée de l’iceberg. Ils masquent une dynamique plus profonde, un écosystème complet qui se fissure et dont les conséquences dépassent de loin la simple disparition d’un logo familier.

L’enjeu n’est pas seulement de « sauver des journaux », mais de préserver la vitalité de notre démocratie de proximité. Mais si la véritable clé n’était pas dans un soutien passif et nostalgique, mais plutôt dans une compréhension fine des nouveaux mécanismes qui régissent l’information ? Si nos propres habitudes, comme celle de nous contenter d’un « J’aime » sur une publication Facebook, faisaient en réalité partie du problème sans que nous le sachions ? Cet article va au-delà du diagnostic alarmiste. Nous allons disséquer le modèle économique des médias régionaux, analyser comment ils se réinventent, exposer les dynamiques de pouvoir qui façonnent votre opinion et, surtout, vous donner les clés pour devenir un acteur éclairé et efficace de la survie de votre information locale.

Pour mieux visualiser les enjeux humains derrière cette crise structurelle, le reportage vidéo suivant donne la parole aux acteurs de terrain et illustre l’effondrement en cours de l’écosystème médiatique au Québec et au Canada.

Afin de naviguer au cœur de cet enjeu complexe, cet article est structuré pour vous guider pas à pas. Nous explorerons les rouages financiers, les stratégies d’adaptation, les concentrations de pouvoir et l’impact direct de cette crise sur notre quotidien et notre démocratie. Le sommaire ci-dessous vous permettra d’accéder directement aux sections qui vous intéressent le plus.

Comment un journal local gagne-t-il de l’argent (et pourquoi il n’y arrive plus)

Le modèle économique d’un média local a longtemps reposé sur un équilibre simple : une part majoritaire de revenus issus de la publicité (le concessionnaire automobile, l’épicerie du coin, les avis de décès) et une part minoritaire provenant de la vente au numéro ou par abonnement. Ce système a fonctionné pendant des décennies, finançant le journalisme qui surveillait le conseil municipal et racontait la vie de la communauté. Aujourd’hui, ce modèle est structurellement brisé. La publicité s’est massivement déplacée vers les plateformes numériques où le ciblage est plus précis et le coût, souvent moindre.

L’ampleur du déclin est vertigineuse. Au Québec, les données financières montrent que les revenus publicitaires des hebdomadaires ont chuté de 36 % entre 2014 et 2020. Cette hémorragie financière n’est pas une simple fluctuation cyclique, mais un effondrement structurel. L’écosystème publicitaire local qui faisait vivre ces médias a été aspiré par des acteurs globaux, laissant les journaux régionaux sans leur principale source de financement. Tenter de survivre uniquement avec la publicité papier est devenu une mission quasi impossible, forçant les médias à repenser intégralement leur proposition de valeur et leurs sources de revenus.

Cette réalité est confirmée par les experts du secteur qui dressent un constat sans appel, comme le résume Jean-Hugues Roy, professeur à l’École des médias de l’UQAM :

La publicité, ce modèle n’est plus viable. Dans les régions où les francophones sont en situation minoritaire, c’est encore plus difficile. La solution ? Diversifier les sources de financement.

– Jean-Hugues Roy, professeur à l’École des médias de l’UQAM, Francopresse

La diversification n’est donc plus une option, mais une condition de survie. Face à l’érosion inéluctable de leur base financière traditionnelle, les médias locaux n’ont d’autre choix que d’explorer de nouvelles avenues pour continuer à exister et à remplir leur mission d’information auprès des citoyens.

Du papier au podcast : comment les médias régionaux se réinventent pour vous atteindre

Face à l’effondrement du modèle publicitaire traditionnel, la survie des médias régionaux ne passe pas par une tentative de ranimer le passé, mais par une réinvention audacieuse. La transformation numérique n’est plus seulement une contrainte, elle devient une opportunité de créer un lien direct et plus fort avec l’audience. Les journalistes et les petites structures médiatiques sortent du cadre de l’imprimé pour explorer une multitude de formats adaptés aux nouvelles habitudes de consommation de l’information.

Cette mutation prend plusieurs formes. L’infolettre, par exemple, permet de livrer une information choisie et éditorialisée directement dans la boîte courriel du lecteur, créant un rendez-vous et un canal de communication qui n’est pas soumis aux caprices des algorithmes des réseaux sociaux. Le podcast offre une intimité et une profondeur uniques pour raconter des histoires locales, mener des entrevues longues ou décrypter des enjeux complexes. Des plateformes comme Patreon permettent même de mettre en place un modèle de financement participatif où les auditeurs les plus engagés soutiennent directement le créateur de contenu.

Ce mouvement voit l’émergence d’une nouvelle figure : le journaliste-entrepreneur, qui bâtit sa propre audience et son modèle économique en misant sur la qualité, la niche et la confiance.

Illustration montrant un journaliste-créateur utilisant simultanément Substack, Patreon et des plateformes de podcast pour bâtir une audience fidèle directement.

Comme le montre cette illustration, l’avenir du journalisme local se joue aussi à l’échelle individuelle, en diversifiant les plateformes pour toucher les citoyens là où ils se trouvent. Cette approche ne remplace pas les salles de rédaction traditionnelles, mais elle offre une voie de résilience et d’innovation. Elle prouve que même avec des moyens réduits, il est possible de produire une information pertinente et de créer une communauté engagée autour de sujets qui comptent vraiment pour elle.

L’effet loupe : comment une histoire de village devient un débat national au Québec

La disparition progressive des médias locaux crée un phénomène pernicieux : le « désert médiatique ». Lorsqu’un territoire n’est plus couvert par des journalistes professionnels, le vide informationnel est rapidement comblé par la rumeur, la désinformation et la polarisation. L’absence d’un tiers de confiance pour vérifier les faits et contextualiser les événements laisse le champ libre aux interprétations les plus extrêmes, transformant des enjeux locaux mineurs en véritables psychodrames sur les réseaux sociaux. C’est l’effet loupe : une histoire de clocher, non traitée par un regard journalistique, peut dégénérer en crise de confiance majeure envers les institutions locales.

Étude de cas : Le désert médiatique de Sainte-Élisabeth et la désinformation locale

À Sainte-Élisabeth, une petite municipalité de Lanaudière, l’absence quasi totale de couverture médiatique a créé un terreau fertile pour la désinformation. Sans journalistes pour enquêter sur les dossiers municipaux et rapporter les faits, les groupes Facebook sont devenus la principale, voire l’unique, source d’information pour de nombreux résidents. Cette situation a conduit à une amplification des rumeurs et à une méfiance généralisée envers les élus, illustrant parfaitement comment l’absence de journalisme local peut fracturer le tissu social d’une communauté.

Ce phénomène n’est malheureusement pas un cas isolé. Selon un portrait des médias québécois, plus de 101 médias locaux ont complètement cessé leurs activités entre 2008 et 2024 au Québec. Chaque fermeture est une porte ouverte à la désinformation. Sans la vigilance d’une presse locale, les décisions des conseils municipaux se prennent dans l’opacité, les conflits d’intérêts potentiels ne sont pas scrutés et la mémoire collective de la communauté s’effrite. La disparition des archives d’un journal, c’est un pan de l’histoire locale qui part en fumée, rendant les citoyens plus vulnérables à la manipulation.

L’enjeu dépasse donc la simple information. La présence d’un média local est un pilier de la santé démocratique. Il agit comme un garde-fou, un forum de discussion et un liant social. Son absence ne crée pas le silence, mais un bruit cacophonique où il devient impossible de distinguer le vrai du faux.

Le mythe de l’information nationale : quand Montréal parle, le reste du Québec écoute-t-il ?

La crise des médias locaux n’entraîne pas seulement la création de « déserts » informationnels ; elle renforce un autre phénomène tout aussi problématique : le biais métropolitain. À mesure que les voix régionales s’éteignent, le vide est comblé par les grands conglomérats médiatiques dont les centres de décision et les salles de rédaction sont massivement concentrés à Montréal. Cette centralisation a une conséquence directe : l’agenda médiatique « national » est de plus en plus défini par les préoccupations, les perspectives et la culture de la métropole.

Les enjeux spécifiques à la Gaspésie, à l’Abitibi ou à la Côte-Nord peinent à trouver leur place dans les bulletins de nouvelles nationaux, sauf lorsqu’ils prennent la forme d’une catastrophe ou d’un fait divers spectaculaire. Cette vision centralisée de l’information donne l’impression que « le Québec » pense et vit au rythme de Montréal, invisibilisant la diversité des réalités régionales. Cette concentration n’est pas qu’une impression, elle est quantifiable. Par exemple, sur le marché de la télévision francophone, la domination est écrasante, créant un puissant goulot d’étranglement informationnel.

La carte ci-dessous illustre symboliquement cette hyper-centralisation, où les grands réseaux basés à Montréal irriguent le reste du territoire avec une information qui reflète souvent leur propre perspective.

Cartographie visuelle montrant la concentration des propriétés médiatiques de Québecor et Bell au Québec, avec une dominance montréalaise.

Cet environnement médiatique homogène peut même avoir des répercussions politiques. Des chercheurs ont émis l’hypothèse que la différence idéologique observée dans la région de Québec pourrait être en partie liée à un écosystème médiatique local distinct, créant une sorte de « bulle » informationnelle. À l’inverse, l’absence d’un tel écosystème fort dans d’autres régions les rend plus perméables à l’agenda montréalais. La question n’est donc pas seulement de savoir si le reste du Québec écoute quand Montréal parle, mais s’il a encore suffisamment de voix propres pour lui répondre.

Ne vous contentez pas d’aimer la page Facebook : 3 erreurs qui affaiblissent votre média local sans que vous le sachiez

Face à la crise, nombreux sont les citoyens qui souhaitent sincèrement soutenir leur média local. L’intention est bonne, mais les actions posées sont souvent inefficaces, voire contre-productives. L’erreur la plus commune est de croire qu’un « J’aime » ou un partage sur Facebook constitue un soutien suffisant. Dans l’écosystème numérique actuel, cette action a une portée dérisoire. La visibilité organique des pages a été drastiquement réduite par les plateformes. Selon des experts en contenu, une publication organique n’atteignait en moyenne que 5,2 % des abonnés d’une page, un chiffre qui ne cesse de diminuer.

En vous contentant d’interagir sur les réseaux sociaux, vous commettez trois erreurs qui, sans le vouloir, affaiblissent votre média :

  1. Vous ne visitez pas son site web : Le modèle économique d’un site d’information, même précaire, repose sur le trafic. Chaque visite est une donnée précieuse qui permet de vendre de la publicité ou de justifier sa pertinence auprès des bailleurs de fonds. Rester sur Facebook prive le média de ce trafic vital.
  2. Vous le laissez à la merci des algorithmes : En dépendant de Facebook pour voir ses contenus, vous donnez à une multinationale le pouvoir de décider ce que vous lisez. Si l’algorithme change (ce qu’il fait constamment), le lien entre le média et vous peut être rompu du jour au lendemain.
  3. Vous ne lui donnez pas de valeur monétaire : Un « J’aime » est gratuit. Or, le journalisme de qualité a un coût. Consommer l’information exclusivement via des plateformes gratuites renforce l’idée que celle-ci n’a pas de valeur, rendant encore plus difficile la transition vers des modèles payants.

Pour transformer votre soutien passif en un véritable levier de survie pour votre média, il est impératif de changer d’approche et d’adopter une meilleure « hygiène informationnelle ».

Votre plan d’action pour un soutien efficace aux médias locaux

  1. Abonnez-vous à l’infolettre : C’est l’action la plus importante. Vous offrez au média un canal de communication direct et non censurable. La liste de contacts lui appartient, c’est son actif le plus précieux.
  2. Cliquez sur les liens : Lorsque vous voyez un article sur les réseaux sociaux, prenez l’habitude de cliquer pour le lire sur le site du média. Ce simple geste génère du trafic et des données d’audience essentielles.
  3. Considérez le soutien financier direct : Si le média propose un abonnement numérique, même pour quelques dollars par mois, c’est le soutien le plus direct et le plus durable que vous puissiez lui apporter. Un don ponctuel est aussi une excellente option.
  4. Partagez l’information, pas seulement le lien : Lorsque vous partagez un article, ajoutez un commentaire personnel expliquant pourquoi il est important. Cela incite votre réseau à cliquer et à lire, au lieu de simplement voir un titre passer.
  5. Consultez directement le site du média : Prenez l’habitude de visiter le site web de votre média local comme vous le feriez pour un site d’information national. Faites-en une de vos sources principales.

Québecor, Bell, Radio-Canada : qui possède quoi dans le paysage médiatique du Québec ?

Pour comprendre la dynamique de l’information au Québec, il est essentiel de savoir qui en sont les principaux propriétaires. Le paysage médiatique est marqué par une forte concentration entre les mains de quelques géants, aux côtés du diffuseur public national. Ces empires médiatiques contrôlent une part écrasante de ce que les Québécois lisent, regardent et écoutent.

Voici un aperçu des principaux acteurs et de l’étendue de leur influence :

Québecor

L’empire médiatique le plus intégré et le plus puissant au Québec. Sa stratégie de convergence lui permet de contrôler à la fois la production de contenu et sa distribution. Son portefeuille est tentaculaire :

  • Télévision : Le réseau généraliste TVA (le plus regardé au Québec), la chaîne d’information en continu LCN, et un bouquet de chaînes spécialisées (TVA Sports, AddikTV, Casa, etc.).
  • Presse écrite : Des quotidiens majeurs comme Le Journal de Montréal et Le Journal de Québec, ainsi que de nombreux hebdomadaires régionaux.
  • Distribution : Vidéotron, le principal câblodistributeur et fournisseur d’accès Internet de la province, ce qui lui donne un contrôle sur le « tuyau » par lequel l’information parvient aux foyers.

Bell Média

Le principal concurrent de Québecor, avec une présence forte surtout dans le marché anglophone, mais aussi de plus en plus significative en français. Bell possède :

  • Télévision : Le réseau généraliste Noovo, la chaîne d’information RDS (son pendant sportif francophone) et une myriade de chaînes spécialisées (Canal D, Canal Vie, Z).
  • Radio : Un vaste réseau de stations de radio à travers le Québec, dont les populaires stations Rouge FM et Énergie.
  • Affichage : Une présence dominante dans le secteur de l’affichage publicitaire extérieur.

Radio-Canada / CBC

Le diffuseur public financé par l’État. Sa mission est d’informer, d’éduquer et de divertir, avec un mandat de refléter la diversité régionale du pays. Il opère :

  • Télévision : ICI Radio-Canada Télé et la chaîne d’information ICI RDI.
  • Radio : ICI Radio-Canada Première (information et culture) et ICI Musique.
  • Numérique : La plateforme ICI TOU.TV et une présence web très développée avec des bureaux régionaux.

Cette concentration extrême signifie que la grande majorité des contenus médiatiques privés que vous consommez provient de seulement deux entreprises, Québecor et Bell, créant un duopole de fait qui façonne le débat public.

Moins d’argent, moins d’enquêtes : comment la crise des médias affaiblit le quatrième pouvoir

La conséquence la plus grave de la crise financière des médias n’est pas la disparition du papier, mais l’érosion du journalisme d’enquête. Ce type de journalisme, qui demande du temps, des ressources et une expertise juridique, est le cœur du rôle de « chien de garde » de la démocratie. C’est lui qui expose la corruption, les abus de pouvoir et les dysfonctionnements des institutions. Or, lorsque les revenus s’effondrent, c’est la première dépense à être coupée.

Les chiffres sont éloquents. Une étude du Centre d’études sur les médias révèle que la masse salariale des journaux a diminué de 38 % entre 2016 et 2020 au Québec. Moins de journalistes dans les salles de rédaction signifie mathématiquement moins de capacité à mener des enquêtes de fond. Les médias se replient sur la couverture d’événements plus faciles et moins coûteux à produire, comme les conférences de presse et les faits divers, au détriment de l’investigation qui demande de creuser sous la surface.

Ce sacrifice est une perte immense pour la société civile, comme le confirment les journalistes eux-mêmes. Le témoignage d’un professionnel observant la situation à The Gazette est particulièrement éclairant : « Il y avait beaucoup de travail d’enquête […] auparavant ; ils avaient une équipe d’enquête qui faisait ça. Maintenant, ce type de journalisme est le premier à être sacrifié, faute de temps et de ressources. »

L’absence de cette surveillance journalistique a des conséquences très concrètes. C’est dans les « déserts médiatiques » que les risques de dérives sont les plus élevés. Par exemple, à Sainte-Mélanie, dans Lanaudière, un conflit majeur a éclaté, menant le maire à poursuivre sa propre municipalité. L’absence d’une couverture médiatique locale et continue a permis aux tensions de s’envenimer loin du regard public, nécessitant l’intervention de la ministre des Affaires municipales seulement après que la situation ait dégénéré. Un journalisme local fort aurait pu mettre en lumière les enjeux bien plus tôt, forçant une reddition de comptes et potentiellement évitant une telle escalade.

À retenir

  • Le modèle économique historique des médias locaux, fondé sur la publicité papier, est structurellement obsolète et ne peut plus assurer leur survie.
  • La concentration massive des médias entre les mains de quelques conglomérats favorise un agenda métropolitain, invisibilisant les réalités et les enjeux des régions.
  • Pour être efficace, le soutien citoyen doit dépasser le « like » passif sur les réseaux sociaux et privilégier des actions directes comme l’abonnement à l’infolettre et le soutien financier.

Qui façonne votre opinion ? Plongée au cœur des empires médiatiques québécois

Au-delà de la crise financière, la question fondamentale qui se pose est celle du pouvoir. Qui contrôle les canaux par lesquels nous nous informons ? Comme nous l’avons vu, le paysage médiatique québécois est dominé par un petit nombre d’acteurs. Cette concentration de la propriété n’est pas un simple détail économique ; elle a un impact direct sur la diversité des opinions et la qualité de l’information disponible. Lorsque quelques entreprises possèdent la majorité des journaux, des chaînes de télévision et des stations de radio, elles acquièrent une capacité démesurée à façonner le débat public.

Cette situation préoccupe jusqu’aux journalistes eux-mêmes. Une recherche menée auprès de professionnels des médias a révélé une forte inquiétude : une majorité de journalistes sondés estimaient que « la concentration et la convergence […] nuisent à la qualité, à la diversité et surtout à l’intégrité de l’information, qui serait détournée du service public pour satisfaire des intérêts particuliers. » En d’autres termes, le risque est que la mission d’informer le public passe au second plan, derrière les objectifs commerciaux ou idéologiques des propriétaires.

Les données sur la propriété de la presse écrite sont parlantes. Une analyse du marché des quotidiens francophones montrait que Québecor et Gesca (aujourd’hui démantelé mais dont les titres ont été repris par d’autres groupes) contrôlaient à eux seuls une large majorité du tirage. Cette situation crée un puissant filtre éditorial. Moins il y a de propriétaires, moins il y a de visions du monde différentes qui s’expriment dans l’espace public. Pour le citoyen, cela signifie un accès à une gamme plus restreinte de perspectives et d’analyses.

Comprendre qui possède les médias n’est donc pas un exercice anodin. C’est la première étape pour développer un esprit critique face à l’information que nous consommons. Cela nous permet de nous interroger sur les angles choisis, les sujets mis de l’avant et ceux qui sont passés sous silence. En fin de compte, la souveraineté informationnelle d’une société dépend de sa capacité à maintenir une pluralité de voix indépendantes. La situation actuelle au Québec représente un défi majeur à cet idéal.

Fort de cette analyse, l’étape suivante consiste à devenir un acteur éclairé de votre propre écosystème d’information. En comprenant les forces en jeu, de l’économie à la propriété, vous détenez désormais les clés pour poser des gestes qui comptent vraiment. Commencez dès aujourd’hui à mettre en pratique une hygiène informationnelle active pour assurer la pérennité des voix qui font vivre votre communauté.

Rédigé par Julien Tremblay, Journaliste d'enquête depuis plus de 15 ans, Julien est un spécialiste reconnu de la politique québécoise et de l'analyse des écosystèmes médiatiques. Sa rigueur et sa capacité à synthétiser des enjeux complexes en font une référence.