Montage éditorial montrant des journalistes au travail dans une salle de rédaction, avec des symboles d'enquête journalistique, de sources de nouvelles et de transmission de l'information
Publié le 18 mai 2024

La disparition des nouvelles d’intérêt public au Québec n’est pas qu’une crise financière, c’est une rupture de la chaîne d’approvisionnement de notre démocratie.

  • Les modèles d’affaires traditionnels des médias locaux se sont effondrés, rendant la production d’enquêtes coûteuses presque impossible.
  • L’aide gouvernementale, bien qu’essentielle, pose des questions sur l’indépendance éditoriale et ne résout pas les problèmes structurels.

Recommandation : Pour agir, il est impératif de comprendre les mécanismes qui fragilisent l’information et de soutenir activement les médias indépendants et les modèles alternatifs qui garantissent une couverture diversifiée et essentielle à la vie citoyenne.

Vous avez l’impression que les enjeux qui vous tiennent à cœur, qu’il s’agisse d’environnement, de justice sociale ou de la gestion de votre municipalité, sont de moins en moins visibles dans les médias ? Vous n’êtes pas seul. Face à ce constat, on évoque souvent la crise des médias, la chute des revenus publicitaires face aux géants du web ou la fermeture des journaux locaux. Ces explications, bien que réelles, ne sont que la partie émergée de l’iceberg. Elles décrivent les symptômes d’un mal bien plus profond qui ronge notre accès à une information de qualité.

Mais si le véritable problème n’était pas seulement financier ? S’il s’agissait d’une défaillance systémique qui affecte chaque étape de la production de l’information ? La menace qui pèse sur les nouvelles d’intérêt public n’est pas qu’un enjeu économique ; c’est une fragilisation de la chaîne d’approvisionnement de la démocratie. De la définition même de ce qui constitue une « nouvelle d’intérêt public » à sa diffusion, en passant par son financement et la protection de ceux qui la produisent, chaque maillon de cette chaîne est aujourd’hui menacé. En tant que citoyen engagé, comprendre cette mécanique est le premier pas pour défendre notre droit à une information plurielle et indépendante.

Cet article n’est pas un simple constat de la crise. C’est une enquête au cœur de l’écosystème médiatique québécois. Nous allons décortiquer ensemble chaque maillon de cette chaîne : comment on définit ce qui est important, comment on finance l’information sans la compromettre, qui la produit réellement, où trouver les sujets que les grands médias ignorent, et ce que risquent les journalistes pour nous informer. Car pour préserver le rôle de « chien de garde » de la démocratie que joue la presse, il faut d’abord comprendre comment il fonctionne et pourquoi il est en danger.

Pour illustrer la complexité des sujets politiques et économiques que le journalisme d’intérêt public doit décrypter, la vidéo suivante offre un aperçu des dynamiques parfois tendues qui régissent les relations internationales, un enjeu crucial pour le Canada et le Québec.

Pour naviguer au cœur de cet écosystème complexe, cet article est structuré pour examiner chaque menace et chaque lueur d’espoir. Le sommaire ci-dessous vous guidera à travers les différentes facettes de cette enquête sur l’état de l’information d’intérêt public au Québec.

Scandale politique ou potin de vedette : qu’est-ce qui est vraiment d’intérêt public ?

Avant même de parler de crise économique, la première menace qui pèse sur l’information essentielle est sa définition même. Dans un monde saturé de contenus où le clic est roi, la frontière entre ce qui est d’intérêt public et ce qui est simplement populaire devient floue. Les algorithmes des réseaux sociaux, conçus pour maximiser l’engagement, privilégient l’émotionnel, le conflictuel et le spectaculaire, reléguant souvent au second plan les sujets de fond, pourtant cruciaux pour la vie citoyenne. Une nouvelle sur une vedette générera souvent plus d’interactions qu’un dossier complexe sur la gestion des fonds publics, créant une pression économique pour produire du contenu « engageant » plutôt qu’important.

Mais alors, comment définir formellement l’intérêt public ? Le Conseil de presse du Québec offre une définition claire qui sert de boussole éthique aux journalistes. Il ne s’agit pas de ce qui intéresse le public, mais de ce qui est dans l’intérêt du public. Comme l’indique son guide de déontologie :

Une information est d’intérêt public si, par exemple : elle contribue à la justice et à l’égalité sociale, en donnant des informations vérifiées et qualifiées d’objectives (indépendantes des intérêts, des goûts, des préjugés de celui qui la fait) et traitant de façon équitable les acteurs impliqués dans des situations du domaine judiciaire, social, politique, et autres.

– Conseil de presse du Québec, Guide des droits et responsabilités de la presse

L’exemple le plus marquant de cette mission au Québec reste la couverture médiatique qui a mené à la Commission Charbonneau. Entre 2009 et 2011, l’émission Enquête de Radio-Canada a diffusé 26 reportages révélant la collusion et la corruption dans l’industrie de la construction. Ces enquêtes journalistiques, au coût élevé et au faible potentiel « viral », ont directement forcé la main du gouvernement, menant à une commission d’enquête publique majeure. Cet événement démontre parfaitement qu’une nouvelle d’intérêt public n’est pas celle qui divertit, mais celle qui a le pouvoir de demander des comptes au pouvoir et de provoquer des changements sociétaux profonds.

La question qui se pose aujourd’hui est la suivante : dans le contexte économique actuel, avons-nous encore les moyens de produire de telles enquêtes ?

Moins d’argent, moins d’enquêtes : comment la crise des médias affaiblit le quatrième pouvoir

La capacité des médias à jouer leur rôle de « quatrième pouvoir » — c’est-à-dire de surveiller les gouvernements, les entreprises et les institutions — est directement liée à leur santé financière. Or, cette dernière est chancelante. La migration des revenus publicitaires vers des plateformes comme Google et Facebook a asséché le principal modèle d’affaires qui finançait le journalisme depuis plus d’un siècle. Le résultat est brutal : moins d’argent signifie moins de journalistes, moins de temps pour enquêter et, ultimement, moins de nouvelles d’intérêt public.

Cette érosion n’est pas une abstraction. Elle se traduit par la fermeture de centaines de médias locaux à travers le pays, créant ce que l’on appelle des déserts médiatiques : des communautés entières qui n’ont plus de journaliste pour couvrir leur conseil municipal, leurs tribunaux ou la vie de leur quartier. Une analyse du Centre canadien de politiques alternatives révèle une véritable hémorragie : au Québec, 3 hebdomadaires locaux sur 10 ont fermé leurs portes au cours des 15 dernières années. Cette perte est dramatique, car ce sont souvent ces petits médias qui sont les premiers à détecter les problèmes locaux avant qu’ils ne deviennent des scandales nationaux.

L’image ci-dessous symbolise cette disparition progressive, montrant l’espace laissé vacant par la fermeture des salles de presse, là où l’information locale prenait vie.

Illustration montrant une carte géographique du Québec et du Canada avec des zones grises représentant les déserts médiatiques, journaux fermés symbolisés par des bâtiments abandonnés

Lorsque la couverture médiatique locale s’effrite, la participation citoyenne diminue et la corruption augmente. Sans journalistes pour poser les questions difficiles, les élus et les fonctionnaires sont moins redevables. L’affaiblissement économique du quatrième pouvoir n’est donc pas seulement une crise pour une industrie ; c’est une menace directe pour la santé de notre démocratie locale et nationale. Chaque journal qui ferme, c’est une sentinelle de moins pour garder un œil sur le pouvoir.

Face à cette situation, une question se pose : l’État doit-il intervenir pour sauver la presse ? Et si oui, à quel prix pour son indépendance ?

L’argent de l’État dans les journaux : une aide essentielle ou une menace à l’indépendance ?

Face à l’effondrement des revenus publicitaires, les gouvernements fédéral et provincial ont mis en place plusieurs programmes d’aide pour soutenir les médias. Ces mesures, souvent sous forme de crédits d’impôt sur la masse salariale, visent à préserver les emplois de journalistes et à assurer la survie des salles de rédaction. Par exemple, le gouvernement fédéral a augmenté de 25 % à 35 % le crédit d’impôt remboursable sur les salaires des journalistes pour la période 2023-2026. Le Québec offre également un soutien similaire, et les citoyens peuvent même bénéficier d’un crédit d’impôt pour leurs abonnements numériques, une mesure qui représente une dépense fiscale de 20 millions de dollars au fédéral.

Cette aide est devenue une bouée de sauvetage pour de nombreux médias, leur permettant de continuer à opérer. Cependant, elle soulève une question fondamentale et légitime : un média financé en partie par l’État peut-il réellement critiquer ce même État en toute indépendance ? C’est le paradoxe du financement public de la presse. Bien que des pare-feu soient mis en place pour garantir l’indépendance éditoriale, la simple perception d’une dépendance financière peut miner la confiance du public. Les détracteurs de ces programmes craignent que les médias deviennent moins enclins à mener des enquêtes dérangeantes sur le gouvernement qui signe leur chèque.

Pourtant, des alternatives existent et prouvent que d’autres voies sont possibles. L’un des exemples les plus inspirants au Canada est celui de The Narwhal. Fondé en 2018, ce média d’investigation en ligne, spécialisé dans les enjeux environnementaux, fonctionne comme un organisme sans but lucratif. Il est financé majoritairement par les dons de ses lecteurs et de fondations philanthropiques. En 2021, il est devenu la première organisation journalistique anglophone enregistrée au Canada, permettant à ses plus de 7 000 membres de recevoir des reçus fiscaux. Ce modèle, qui a valu à The Narwhal le prestigieux Prix Michener en 2024, démontre qu’une indépendance éditoriale forte peut être maintenue grâce à un financement direct par la communauté qu’il sert, sans dépendre ni de la publicité, ni de l’aide gouvernementale directe.

Au-delà du financement, un autre maillon fragile de la chaîne de l’information est la production même des nouvelles que nous lisons chaque jour.

La nouvelle que vous lisez partout : dans les coulisses de l’agence qui alimente tous les médias du Québec

Vous avez déjà eu l’impression de lire la même nouvelle, formulée de manière quasi identique, sur le site d’un grand quotidien, à la radio et dans votre journal local ? Ce n’est pas une coïncidence. C’est le résultat du travail d’une institution méconnue du grand public mais absolument centrale dans l’écosystème médiatique : l’agence de presse. Au Canada, ce rôle est principalement joué par La Presse Canadienne (PC). Fonctionnant comme une coopérative sans but lucratif, la PC emploie plus de 180 journalistes qui produisent un flux continu de dépêches sur l’actualité nationale, politique, économique et sportive. Ces articles, photos et vidéos sont ensuite vendus aux médias abonnés, qui les utilisent pour remplir leurs pages et leurs bulletins.

Ce système permet aux médias, particulièrement les plus petits avec des ressources limitées, d’offrir une couverture complète de l’actualité qu’ils ne pourraient jamais produire seuls. C’est un maillon essentiel de la chaîne d’approvisionnement de l’information. Cependant, la crise qui frappe ses clients (les journaux) frappe aussi l’agence. Avec moins d’abonnés et moins de revenus, la capacité de La Presse Canadienne à produire du contenu original, et surtout des enquêtes coûteuses, est elle-même menacée.

Plus grave encore est le risque d’uniformisation de l’information. Lorsque des dizaines de médias reprennent la même dépêche d’agence, cela crée une homogénéisation des sources et des perspectives. Le lecteur a l’illusion d’une information corroborée par plusieurs sources, alors qu’en réalité, il lit le travail d’une seule et même équipe de journalistes. Cette dépendance excessive à un seul fournisseur de contenu réduit la diversité des angles et fragilise l’ensemble de l’écosystème. Si la source centrale venait à faillir ou à être biaisée, l’impact se répercuterait sur l’ensemble des médias québécois. La robustesse de notre information dépend donc de la pluralité des voix, une pluralité que la centralisation, même involontaire, met en péril.

Alors, face à cette concentration et à la crise des médias traditionnels, où peut-on encore trouver des nouvelles d’intérêt public originales et diversifiées ?

L’info que les géants ignorent : où trouver les nouvelles d’intérêt public que personne ne vous montre ?

Lorsque les grands médias, par contrainte économique, se concentrent sur les sujets les plus rassembleurs, des pans entiers de la réalité sociale et politique se retrouvent dans l’ombre. Ce sont les « angles morts » de l’information, des sujets d’intérêt public cruciaux pour certaines communautés mais jugés trop « de niche » pour être couverts. Heureusement, des oasis d’information émergent pour combler ces vides, portées par des journalistes et des organisations qui ont fait le choix de se consacrer à ces enjeux délaissés.

Un exemple phare au Canada est le Réseau de télévision des peuples autochtones (APTN). Lancé en 1999, c’est le premier radiodiffuseur autochtone indépendant au monde. Sa mission est de produire du contenu par, pour et sur les populations autochtones. APTN couvre systématiquement des enjeux vitaux pour ces communautés — droits fonciers, justice, culture, langue — que les médias généralistes ignorent ou survolent. Avec 80% de son contenu produit localement et une programmation francophone en hausse, APTN ne se contente pas de servir sa communauté ; il offre à tous les Canadiens une fenêtre sur des réalités essentielles, comblant un vide informatif critique.

À une autre échelle, l’émergence des bulletins d’information et des podcasts indépendants, souvent financés directement par les lecteurs via des plateformes comme Substack, représente une autre avenue prometteuse. Des journalistes québécois spécialisés y couvrent en profondeur des domaines comme la justice, la technologie ou la politique municipale. Libérés des contraintes de la publicité et de la course au clic, ils peuvent se permettre des enquêtes au long cours et une analyse pointue, créant une relation de confiance directe avec leur lectorat. Ces initiatives, bien que souvent modestes, forment un maillage de plus en plus dense d’expertises qui enrichit considérablement le paysage médiatique.

Votre plan d’action pour diversifier vos sources d’information

  1. Points de contact : Listez tous les canaux par lesquels vous recevez de l’information (télé, radio, journaux, réseaux sociaux, infolettres).
  2. Collecte : Pendant une semaine, inventoriez les médias que vous consultez. S’agit-il toujours des 2-3 mêmes grands noms ou y a-t-il de la diversité (médias locaux, spécialisés, indépendants) ?
  3. Cohérence : Confrontez cette liste à vos valeurs. Si un enjeu comme l’environnement local vous importe, avez-vous une source qui le couvre spécifiquement ?
  4. Mémorabilité/émotion : Repérez les sources qui vous offrent une perspective unique, un angle que vous ne voyez pas ailleurs, par opposition aux nouvelles génériques reprises partout.
  5. Plan d’intégration : Identifiez un ou deux « trous » dans votre régime médiatique et abonnez-vous activement à un média indépendant, une infolettre de journaliste ou un média communautaire qui comble ce manque.

Mais pour que ces journalistes, qu’ils soient dans de grands ou de petits médias, puissent faire leur travail, un principe fondamental doit être protégé.

« Je ne révélerai jamais ma source » : au cœur du principe le plus sacré (et le plus risqué) du journalisme

Le journalisme d’investigation repose sur un pacte de confiance fragile mais essentiel : la protection des sources. Sans la garantie de l’anonymat, rares seraient les lanceurs d’alerte, les fonctionnaires ou les employés qui oseraient dénoncer des actes répréhensibles au sein de leur organisation, de peur de subir des représailles. Révéler un scandale de corruption, un cas de négligence dans un hôpital ou un désastre environnemental commence presque toujours par une source qui accepte de parler à un journaliste « off the record ». Protéger l’identité de cette personne n’est pas un caprice de journaliste, c’est une condition sine qua non à l’existence même d’un journalisme qui demande des comptes au pouvoir.

Conscient de cet enjeu, le Québec s’est doté en 2017 d’une loi spécifique. Comme le stipule la Loi sur la protection de la confidentialité des sources journalistiques, un journaliste a le droit de refuser de divulguer une information qui pourrait identifier sa source devant un tribunal. Cette protection est cruciale, mais elle n’est pas absolue.

Un journaliste peut s’opposer à divulguer un renseignement ou un document auprès d’un tribunal, d’un organisme ou d’une personne ayant le pouvoir de contraindre à la production de renseignements pour le motif que le renseignement ou le document identifie ou est susceptible d’identifier une source journalistique.

– Loi sur la protection de la confidentialité des sources journalistiques du Québec, Loi P-33.1, article 3

Le cadre légal, complété par la loi fédérale S-231, a renforcé cette protection, mais le risque demeure. Un juge peut toujours forcer un journaliste à révéler sa source si l’intérêt public d’une enquête judiciaire est jugé supérieur. De plus, une menace grandissante pèse sur les journalistes : les poursuites stratégiques contre la mobilisation publique (SLAPP), ou poursuites-bâillons. Ces poursuites, souvent intentées par de riches individus ou de grandes entreprises, n’ont pas pour but de gagner en cour, mais d’épuiser financièrement et psychologiquement le journaliste et son média pour les réduire au silence. Selon des rapports internationaux, leur nombre est en constante augmentation dans les démocraties, faisant du journalisme d’enquête une activité de plus en plus risquée.

Ce risque juridique s’ajoute à une fragilité économique particulièrement criante au niveau local.

Comment un journal local gagne-t-il de l’argent (et pourquoi il n’y arrive plus)

Pendant des décennies, le modèle d’affaires des journaux locaux, notamment les hebdomadaires, reposait sur un trépied fragile : un peu de ventes au numéro, des abonnements, mais surtout, les revenus publicitaires des commerces locaux, distribués via le fameux Publisac. Ce sac de circulaires, distribué gratuitement de porte en porte, était le véhicule qui assurait la livraison du journal dans des milliers de foyers, garantissant aux annonceurs une visibilité maximale. Ce modèle, bien qu’imparfait, a permis à des centaines de médias régionaux de survivre et d’informer leur communauté.

Ce château de cartes s’est écroulé en novembre 2023, lorsque TC Transcontinental a annoncé la fin du Publisac. Cette décision, précipitée par des règlements municipaux comme celui de Montréal interdisant la distribution non sollicitée, a privé la quasi-totalité des hebdos indépendants du Québec de leur principal canal de distribution et d’une source de revenus cruciale. Du jour au lendemain, ils ont dû se réinventer, passant à une distribution en présentoirs dans les commerces, avec une portée bien moindre. L’impact a été dévastateur, comme en témoigne la déclaration de Benoît Chartier, président d’Hebdos Québec, qui a qualifié la situation de « danger de miner toute pérennité de nos médias ».

Étude de cas : L’impact de la fin du Publisac

En annonçant la fin de la distribution du Publisac à compter de février 2024, TC Transcontinental a mis fin à un modèle d’affaires vieux de plusieurs décennies. Selon Hebdos Québec, cette décision a affecté 115 hebdomadaires indépendants, les forçant à réduire drastiquement leurs tirages et à chercher en urgence des solutions alternatives pour atteindre leur lectorat. Cet événement illustre de manière spectaculaire la vulnérabilité des médias locaux face à des chocs externes sur lesquels ils n’ont aucun contrôle.

Pourtant, dans ce paysage sombre, des lueurs d’espoir émergent sous la forme de nouveaux modèles de propriété. Le cas de la Coopérative nationale de l’information indépendante (CN2i) est exemplaire. Suite à la faillite du Groupe Capitales Médias en 2019, six quotidiens régionaux majeurs (dont Le Soleil et Le Droit) ont été sauvés par leurs propres employés. En se transformant en coopératives de solidarité, ces journaux ont non seulement assuré leur survie, mais ont aussi renforcé leur indépendance éditoriale et leur ancrage dans leur communauté. Ce modèle prouve qu’une structure où les travailleurs sont aussi les propriétaires peut offrir une alternative viable et résiliente.

Malgré ces défis, des journalistes continuent de produire des enquêtes qui changent la donne.

À retenir

  • La crise des médias n’est pas seulement financière, elle est structurelle et affecte toute la chaîne de production de l’information, de sa définition à sa distribution.
  • L’aide de l’État est un soutien vital mais ambivalent, qui pose la question de l’indépendance éditoriale et ne remplace pas la nécessité d’un modèle d’affaires viable.
  • Face aux déserts médiatiques, la résilience de l’écosystème repose sur la diversité des sources : médias de niche, coopératives et journalistes indépendants sont essentiels pour combler les vides.

Révélations qui secouent le pouvoir : comment naît, vit et meurt un grand reportage d’investigation

Malgré un écosystème médiatique fragilisé, le journalisme d’investigation continue de produire des enquêtes d’une importance capitale, prouvant que le rôle de « chien de garde » de la démocratie est plus nécessaire que jamais. Un grand reportage est un processus long, coûteux et risqué. Il naît souvent d’une source anonyme, d’une intuition ou de l’analyse patiente de documents publics. Il vit pendant des mois, voire des années, au rythme des recherches, des entrevues, des vérifications factuelles et des consultations juridiques. Et parfois, il aboutit à une publication qui a le pouvoir de secouer les institutions et de provoquer des changements durables.

L’un des exemples les plus puissants de ces dernières années au Québec est l’enquête de La Presse sur les failles de la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ). Une équipe de quatre journalistes a documenté de manière exhaustive les dysfonctionnements systémiques, révélant des situations tragiques d’enfants retirés à tort, isolés ou victimes de maltraitance au sein même du système censé les protéger. Ces révélations ont eu l’effet d’une bombe.

Étude de cas : L’enquête de La Presse sur la DPJ, lauréate du Prix Michener 2024

Le travail d’Ariane Lacoursière, Caroline Touzin, Gabrielle Duchaine et Katia Gagnon a non seulement remporté le plus prestigieux prix de journalisme d’intérêt public au Canada, mais il a surtout eu des conséquences concrètes. Leurs reportages ont directement conduit à plusieurs enquêtes gouvernementales, à la mise sous tutelle d’une direction régionale de la DPJ et à la création du poste de Commissaire au bien-être et aux droits des enfants. Comme l’a souligné la présidente de la Fondation Michener, Margo Goodhand, leur travail « illustre parfaitement l’essence même du journalisme d’intérêt public », qui incite à « la mise en œuvre de réformes importantes ».

Ce type d’impact démontre que l’investissement dans le journalisme d’enquête n’est pas une dépense, mais un investissement dans le bien-être de la société. Face à la complexité croissante des enjeux (criminalité financière, crises environnementales, etc.), l’avenir de ces grandes enquêtes passe de plus en plus par la collaboration internationale. Des organisations comme le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ), qui a piloté les Panama Papers, montrent que la mise en commun des ressources entre médias concurrents est la seule façon de s’attaquer à des systèmes opaques et transnationaux. C’est en unissant leurs forces que les journalistes peuvent continuer à révéler ce que les puissants préféreraient garder caché.

L’information d’intérêt public n’est pas une marchandise comme une autre, mais un pilier de la démocratie. Pour le protéger, l’étape suivante consiste à passer du statut de consommateur passif à celui de citoyen actif. Soutenez un média local, abonnez-vous à une infolettre indépendante ou partagez une enquête qui vous semble essentielle. Chaque geste compte pour maintenir la vitalité de notre écosystème médiatique.

Rédigé par Amélie Gagnon, Blogueuse voyage et photographe depuis une décennie, Amélie a fait de l'exploration des régions du Québec et du tourisme de plein air son expertise principale. Elle est reconnue pour ses itinéraires hors des sentiers battus et ses conseils pratiques.