Une main qui soulève un voile transparent révélant des couches cachées d'information, symbolisant la recherche de vérité au-delà de l'apparence. Composition minimale avec bokeh subtil. Montréal urbain en arrière-plan flou.
Publié le 11 Décembre 2024

Contrairement à la croyance populaire, s’informer auprès de plusieurs sources ne suffit pas à éviter la manipulation. La clé est de comprendre *comment* l’information est fabriquée.

  • Un chiffre présenté seul est un outil de persuasion, pas une vérité objective. Il faut toujours questionner son cadre de référence.
  • Chaque nouvelle est une construction qui obéit à des logiques structurelles : le prisme du journaliste, la ligne éditoriale et les intérêts du conglomérat médiatique.

Recommandation : Adoptez une posture d’ingénieur inversé. Pour chaque information, questionnez l’angle, les acteurs cités et le contexte choisi pour remonter la chaîne de montage de la nouvelle.

Vous vous sentez submergé par le flot incessant des nouvelles ? Vous avez l’impression que, malgré vos efforts pour vous informer, les enjeux profonds vous échappent, vous laissant avec une réaction épidermique face à des événements complexes ? Ce sentiment est partagé par beaucoup. Dans un monde saturé d’informations, la fatigue décisionnelle s’installe et la tentation de s’en remettre aux manchettes chocs est grande. On réagit à l’émotion du moment, on partage un article indigné, on s’inquiète d’une statistique alarmante, sans toujours posséder les outils pour évaluer la validité de ce qu’on lit.

Face à ce défi, les conseils habituels fusent : « vérifiez vos sources », « lisez plusieurs médias », « méfiez-vous des biais ». Ces recommandations, bien que justes, sont souvent insuffisantes. Elles s’apparentent à donner un tournevis à quelqu’un qui doit démonter une montre suisse. Elles traitent le symptôme (la désinformation) sans outiller pour comprendre la mécanique sous-jacente. Car une information n’est jamais un fait brut, tombé du ciel. C’est un produit manufacturé, façonné par une série de choix, de filtres et de contraintes invisibles pour le lecteur non averti.

Mais si la véritable clé n’était pas de consommer *plus* d’informations, mais d’apprendre à les *déconstruire* ? Et si, au lieu de subir le flux, vous pouviez adopter la posture d’un analyste, d’un ingénieur inversé capable de démonter la mécanique d’une nouvelle pour en comprendre le fonctionnement ? C’est le changement de paradigme que cet article vous propose. Nous n’allons pas vous donner une liste de « bons » et de « mauvais » médias. Nous allons vous fournir une boîte à outils de pensée critique, appliquée au contexte québécois, pour que vous puissiez analyser n’importe quelle information, d’où qu’elle vienne. Nous explorerons comment une statistique peut devenir une arme, comment le cadrage d’un événement transforme sa perception et comment les structures médiatiques elles-mêmes influencent ce que vous lisez chaque matin.

Pour ceux qui préfèrent le format visuel, la vidéo suivante propose une analyse complémentaire qui explore les courants idéologiques sous-jacents au paysage médiatique québécois, un parfait contrepoint aux outils pratiques que nous allons aborder.

Cet article est structuré pour vous guider pas à pas dans cette démarche d’ingénierie inversée de l’information. Chaque section est une étape qui vous permettra de démonter une pièce différente du moteur médiatique, afin de ne plus jamais être un simple passager de l’actualité, mais un conducteur éclairé.

La statistique sortie de son contexte : l’arme de manipulation la plus efficace (et comment la déjouer)

Un chiffre est un argument d’autorité. Il semble objectif, irréfutable. C’est précisément ce qui le rend si puissant et, paradoxalement, si facile à manipuler. Une statistique présentée sans son contexte n’est pas une information, c’est un slogan. Le premier réflexe d’un lecteur critique n’est pas de mémoriser le chiffre, mais de questionner son cadre : à quoi est-il comparé ? Quelle est la période de référence ? Qui l’a produit et dans quel but ? La crise du logement au Québec en est une illustration parfaite. Affirmer que le taux d’inoccupation est historiquement bas est une chose ; le chiffrer précisément en est une autre.

En 2024, le Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU) a sonné l’alarme en soulignant que le taux d’inoccupation était passé sous la barre des 3% dans toutes les municipalités du Québec, un seuil critique indiquant une pénurie généralisée. Ce chiffre, sorti d’un rapport détaillé, devient une arme politique. Il perd sa nuance pour devenir la preuve irréfutable d’une crise. La première étape pour ne pas se faire manipuler est de toujours chercher la définition complète du chiffre : ici, le « seuil d’équilibre du marché de 3% » est le contexte essentiel sans lequel le chiffre brut est dénué de sens.

Étude de cas : La péréquation, un chiffre, deux réalités opposées

Le Québec reçoit environ 26% des transferts de péréquation fédéraux, alors que sa population représente 23% de celle du Canada. Ce même fait est utilisé pour construire deux narratifs radicalement opposés. Pour les fédéralistes, c’est la preuve de la solidarité canadienne, montrant que les provinces plus riches soutiennent l’économie québécoise. Pour certains souverainistes, ce même chiffre est la preuve d’un déséquilibre structurel ou d’un « vol fiscal », argumentant que le système fédéral freine le potentiel économique du Québec. La bataille n’est pas sur le chiffre lui-même, mais sur le prisme contextuel à travers lequel il est interprété. En tant que lecteur, comprendre que ces deux interprétations existent et pourquoi est plus important que de retenir le chiffre de 26%.

Le chiffre brut est une matière première. Il ne devient une information qu’une fois poli, taillé et monté dans un cadre narratif. Votre rôle est de toujours examiner le montage avant d’admirer la pierre.

Les quatre dimensions de l’information : la méthode pour analyser n’importe quelle nouvelle comme un pro

Une fois le réflexe statistique acquis, il faut élargir le champ d’analyse. Toute nouvelle, même la plus simple en apparence, possède plusieurs couches de signification. Pour passer du statut de consommateur à celui d’analyste, il faut la décomposer en quatre dimensions fondamentales. Pensez à un prisme qui décompose la lumière blanche : une nouvelle brute, en apparence unifiée, est en réalité composée de plusieurs spectres distincts qu’il faut apprendre à voir séparément.

Un prisme en cristal décomposant un rayon lumineux en quatre couleurs, symbolisant les dimensions de l'analyse de l'information, sur un fond de bureau législatif québécois.

Ces quatre dimensions sont le contexte historique (qu’est-ce qui a mené à cet événement ?), économique (qui paie ? qui profite ?), politique (quels rapports de force sont en jeu ?) et humain (quelles sont les conséquences pour les individus ?). Appliquer cette grille à une nouvelle complexe comme la Loi 96 sur la langue française au Québec la transforme instantanément. Historiquement, elle s’inscrit dans une longue suite de lois linguistiques visant à protéger le français. Économiquement, elle impose des coûts de mise en conformité aux entreprises, avec des amendes potentielles allant de 3 000 $ à 30 000 $ par infraction pour les entreprises de 25 employés et plus. Politiquement, elle est un marqueur identitaire fort pour le gouvernement en place. Humainement, elle impacte le quotidien des travailleurs, des commerçants et des nouveaux arrivants.

Un article qui ne traite que de la dimension politique (le « coup d’éclat » du gouvernement) sans aborder l’impact économique sur les PME ou le vécu humain des allophones offre une vision partielle, donc partiale. En tant que lecteur, votre travail est de repérer quelle(s) dimension(s) est (sont) privilégiée(s) et, surtout, laquelle est passée sous silence.

Votre checklist pour appliquer la méthode des quatre dimensions

  1. Dimension Historique : Cet événement est-il une rupture ou la continuité d’une tendance ? Listez un événement passé qui l’éclaire.
  2. Dimension Économique : Qui sont les gagnants et les perdants financiers de cette situation ? Inventoriez les coûts directs et les bénéfices potentiels.
  3. Dimension Politique : Quel acteur politique gagne en influence ou en légitimité grâce à cette nouvelle ? Confrontez le discours officiel aux intérêts partisans.
  4. Dimension Humaine : Comment cette nouvelle changerait-elle votre quotidien si vous étiez directement concerné ? Repérez un témoignage ou une conséquence concrète dans l’article.
  5. Plan de Synthèse : Quelle dimension l’article privilégie-t-il ? Repérez les « trous » dans l’analyse et cherchez activement l’information manquante ailleurs.

Pourquoi on ne comprend rien à la politique américaine : le rôle vital du correspondant à Washington

L’information, surtout internationale, ne nous parvient pas directement. Elle passe par un filtre essentiel : le correspondant. Ce journaliste n’est pas une simple caméra qui retransmet des faits. Il est un traducteur culturel, un sélectionneur et un interprète. Comprendre son rôle est crucial, particulièrement pour un sujet aussi complexe et polarisant que la politique américaine vue du Québec. Le correspondant québécois à Washington ne se contente pas de rapporter ce que dit le président ; il sélectionne les sujets pertinents pour son public et les cadre à travers un prisme de valeurs québécoises.

Cette sélection est une forme de contextualisation en soi. Un débat sur la laïcité aux États-Unis n’aura pas le même écho ni la même couverture au Québec, avec son propre débat sur la Loi 21, que dans l’Ouest canadien. Le correspondant agit comme un curateur, choisissant dans le tumulte de l’actualité américaine ce qui résonnera avec les préoccupations de son lectorat.

Donald Trump, c’est le maître du jeu, il tient la lampe-torche dont le faisceau fait courir les médias, comme si c’étaient des chats. Pendant ce temps-là, il y a des décisions importantes prises en coulisses qui ne sont pas couvertes, faute de moyens. Le correspondant québécois ne rapporte pas seulement les faits : il sélectionne, interprète et filtre à travers le prisme des préoccupations québécoises.

– Frédéric Arnould, correspondant pour Radio-Canada à Washington, cité dans Le Droit

Cette fonction de filtre est confirmée par l’analyse médiatique. Une analyse comparative des médias américains et québécois a révélé que la presse québécoise a tendance à surreprésenter les enjeux de la « guerre culturelle » américaine, car ils font écho à des débats identitaires locaux. Le choix de couvrir une controverse sur une statue plutôt qu’un obscur amendement agricole est un choix éditorial qui façonne notre perception de la réalité américaine. En lisant un article en provenance de Washington, la question n’est pas seulement « est-ce vrai ? » mais « pourquoi a-t-on choisi de me raconter cette histoire-là, aujourd’hui ? ».

Dans le secret de la « réunion de 10h » : comment votre journal décide de ce que vous devez penser d’une nouvelle

Si le correspondant est un filtre, la salle de rédaction est le centre de commandement. C’est lors de la fameuse « réunion de 10h », un rituel dans la plupart des grands médias, que la hiérarchie de l’information est décidée. Quel sujet fera la une ? Quel angle sera privilégié ? Quelle nouvelle sera reléguée en page 12 ? Ces décisions ne sont pas seulement journalistiques, elles sont aussi stratégiques, surtout au sein d’un conglomérat médiatique où les synergies sont la norme. Au Québec, où la concentration de la propriété des médias est une réalité, comprendre cette mécanique est fondamental.

Un conglomérat comme Québecor, qui possède à la fois des journaux (Journal de Montréal, Journal de Québec), une chaîne de télévision généraliste (TVA), une chaîne d’information en continu (LCN) et un câblodistributeur (Vidéotron), n’aborde pas l’information comme une série d’entités indépendantes. Il la pense comme un écosystème de contenu. Une décision prise lors de la réunion éditoriale peut se déployer sur toutes les plateformes pour créer un effet d’écho massif, donnant l’impression d’un consensus ou d’une importance objective.

Étude de cas : La convergence Québecor et Star Académie

L’exemple de l’émission Star Académie, produite par TVA, est emblématique. Un événement unique (le lancement d’une saison) est amplifié à travers tout l’écosystème Québecor. La diffusion a lieu sur TVA. Les magazines du groupe (comme 7 Jours) en assurent la couverture people. Le site web Canoë en relaie les actualités. Les journaux du groupe en font des articles de fond. Les produits dérivés musicaux sont distribués via Musicor, une autre filiale. Le résultat est une omniprésence médiatique qui donne à l’événement une importance démesurée, non pas parce qu’il est intrinsèquement plus important qu’un autre, mais parce que la structure du conglomérat est conçue pour maximiser son exposition. C’est l’illustration parfaite de la « chaîne de montage médiatique » en action.

Cette logique de convergence n’est pas nécessairement une conspiration, mais une stratégie d’affaires rationnelle. Cependant, pour le lecteur, elle a une conséquence majeure : elle réduit la diversité des perspectives et peut créer des chambres d’écho. Savoir qui possède le média que vous lisez n’est pas un détail, c’est la clé pour comprendre la logique industrielle qui sous-tend la hiérarchie de l’information qu’on vous présente.

Quand le contexte devient un prétexte : reconnaître la contextualisation malhonnête dans un débat

Nous avons établi que le contexte est la clé. Mais que se passe-t-il lorsque le contexte lui-même est instrumentalisé ? C’est le niveau supérieur de la manipulation : la contextualisation malhonnête. Cette technique ne consiste pas à mentir sur les faits, mais à choisir délibérément un cadre de référence qui sert un agenda, tout en ignorant les autres contextes pertinents. Dans les débats publics québécois, cette stratégie est omniprésente et redoutablement efficace.

Le débat sur la Loi 21 sur la laïcité de l’État en est un cas d’école. Le gouvernement a systématiquement contextualisé cette loi dans le cadre de la « spécificité québécoise » et de l’affirmation d’un « consensus populaire », s’appuyant sur des sondages montrant un appui majoritaire. De leur côté, les opposants ont contextualisé la même loi dans le cadre des chartes des droits et libertés, la présentant comme une violation des libertés individuelles et une mesure discriminatoire. Les deux parties utilisent un contexte valide, mais leur choix sélectif sert à disqualifier l’autre perspective. L’analyse de l’IRPP montre d’ailleurs que, malgré un appui majoritaire, la population québécoise reste profondément divisée sur les aspects fondamentaux de la loi, loin du « consensus » évoqué.

Le gouvernement Legault semblerait croire qu’il y aurait ‘consensus au Québec’ sur la loi 21 puisqu’une majorité de Québécois sont en accord. Cependant, plusieurs sondages révèlent que la population demeure largement divisée et reste loin du consensus.

– Institut de recherche en politiques publiques (IRPP), Analyse de l’opinion publique québécoise sur la Loi 21

Un autre exemple frappant est le déboulonnage de la statue de John A. Macdonald à Montréal en 2020. Les militants ont contextualisé leur geste dans le cadre de la lutte antiraciste et de la dénonciation du rôle de Macdonald dans les politiques génocidaires envers les peuples autochtones. Les défenseurs du patrimoine, y compris des figures politiques, ont contextualisé l’événement dans le cadre du respect de l’histoire et du vandalisme. « Patrimoine historique » contre « symbole de l’oppression » : la bataille est une guerre de contextes. Le lecteur critique doit être capable d’identifier les différents cadres possibles et de se demander : « Quel contexte est délibérément ignoré dans cet article ? »

Le feu de forêt : ce que le journaliste environnemental voit que le généraliste ne peut pas vous dire

L’expertise du journaliste est un autre filtre contextuel puissant. Face à un même événement, un journaliste généraliste et un journaliste spécialisé ne verront pas, et donc ne raconteront pas, la même histoire. Le généraliste se concentre sur l’événementiel, le spectaculaire, le bilan humain et matériel. Le spécialiste, lui, voit les structures, les causes profondes et les enjeux politiques sous-jacents. L’exemple des feux de forêt historiques qui ont ravagé le Québec en 2023 est particulièrement éclairant.

Pour le journaliste généraliste, l’histoire était celle des flammes, des évacuations, des pompiers héroïques et des hélicoptères-citernes. Le récit se concentrait sur l’action et l’émotion. Un journaliste environnemental, lui, voyait bien au-delà. Il voyait les données climatiques à long terme, la santé de la forêt boréale, mais aussi et surtout, les failles administratives et politiques dans la gestion de crise. La saison 2023 a été marquée par une durée exceptionnelle, avec une mobilisation de 994 ressources externes à son apogée le 28 juin, mais le spécialiste s’est intéressé à ce que ces chiffres cachaient.

Étude de cas : Le transfert de la SOPFEU, l’enjeu invisible

Au cœur de la crise, un enjeu de gouvernance majeur se jouait en coulisses. La Société de protection des forêts contre le feu (SOPFEU) relevait historiquement du ministère des Forêts, tandis que la sécurité civile (et donc la coordination des aides comme l’armée) relevait de la Sécurité publique. Cette division des compétences a créé des frictions et des délais dans la réponse. Pour le journaliste environnemental, l’annonce du transfert de la SOPFEU sous la tutelle de la Sécurité publique, effectif au 1ᵉʳ janvier 2025, n’est pas une note de bas de page administrative. C’est le véritable épilogue politique de la crise de 2023. Là où le généraliste voit un hélicoptère, le spécialiste voit un conflit de compétences entre le provincial et le fédéral et une réorganisation structurelle de l’État québécois.

Comme le déclarait le ministre de la Sécurité publique, François Bonnardel, ce changement visait à « recentrer les activités de la SOPFEU vers la sauvegarde des communautés ». Cette phrase, pour un lecteur averti, n’est pas une simple déclaration : elle est l’aveu d’une faille dans le système précédent. Le travail du lecteur critique est de chercher activement la perspective du spécialiste, car c’est souvent là que se trouve l’information la plus significative, celle qui explique le « pourquoi » derrière le « quoi ».

La manifestation : pourquoi un média la présente comme une ‘émeute’ et l’autre comme une ‘fête populaire’

Le choix des mots est l’outil de cadrage le plus direct et le plus efficace dont dispose un média. Face à un même rassemblement de personnes, l’utilisation du terme « manifestation », « rassemblement », « mouvement citoyen », « émeute » ou « fête populaire » n’est jamais neutre. Chaque mot transporte avec lui un univers de connotations qui positionne immédiatement l’événement et ses participants sur une échelle de légitimité. Une « émeute » appelle une réponse policière ; une « fête populaire » suggère une adhésion joyeuse et légitime.

Ce cadrage sémantique dépend directement de la ligne éditoriale du média et de sa perception de la légitimité des revendications portées par les protestataires. Il ne s’agit pas de « fake news », car la manifestation a bien eu lieu. Il s’agit d’un choix d’interprétation qui est présenté au lecteur comme un fait.

Étude de cas : Le « Convoi de la liberté » de 2022

La couverture médiatique du « Convoi de la liberté » à Ottawa en janvier 2022 est un exemple parfait de cette divergence de cadrage. Même au sein du Canada, les perspectives variaient énormément. Une analyse a montré que les médias québécois ont rapidement mis l’accent sur la présence de symboles d’extrême-droite et ont fortement contextualisé le mouvement dans le cadre de l’opposition aux mesures sanitaires jugées nécessaires. Inversement, certains médias anglophones, comme CBC News Network, ont initialement donné une plus grande place au discours des manifestants eux-mêmes, relayant davantage leurs revendications « anti-mesures » et le thème de la « liberté ». Le même événement a donc été présenté, d’un côté, comme une dérive extrémiste préoccupante et, de l’autre, comme l’expression d’un mécontentement populaire. Le travail du lecteur n’est pas de décider qui a « raison », mais de reconnaître ces deux cadres et de comprendre pourquoi ils ont été choisis.

Lorsqu’on lit un article sur un mouvement social, il faut porter une attention quasi chirurgicale au vocabulaire employé. Les adjectifs, les noms et les verbes choisis pour décrire les manifestants et leurs actions sont la signature la plus claire de la position éditoriale du média. Ils sont la première couche du vernis interprétatif appliqué sur la réalité brute de l’événement.

À retenir

  • Un chiffre ou une statistique n’a de valeur que par le contexte qui l’accompagne. Isolé, il devient un outil de persuasion.
  • L’information est un produit façonné par des choix éditoriaux : l’angle choisi, les experts interviewés et le vocabulaire utilisé ne sont jamais neutres.
  • La structure de propriété d’un média (indépendant ou partie d’un conglomérat) influence directement la hiérarchie et la nature des nouvelles qui vous sont présentées.

Derrière le rideau médiatique : comment analyser la couverture d’un événement pour comprendre ce qu’on ne vous dit pas

Nous avons démonté les pièces du moteur : la statistique, le prisme du journaliste, la logique du conglomérat et le pouvoir des mots. Il est temps d’assembler ces éléments en une grille d’analyse pratique, un outil que vous pouvez utiliser chaque jour pour devenir un lecteur actif et critique. L’objectif n’est pas de sombrer dans le cynisme et de croire que « tout est manipulation », mais de développer une hygiène informationnelle saine. Il s’agit de passer d’une lecture passive à une interrogation active.

Une grille de lecture de film photographique montrant différentes couches d'analyse de l'information sur un fond de journaux québécois.

Cette grille de lecture consiste à poser une série de questions systématiques face à n’importe quel article. C’est une checklist mentale qui transforme votre cerveau en un véritable « fact-checker » contextuel. Elle vous force à regarder au-delà du contenu pour analyser le contenant et son processus de fabrication. Cet effort est le prix à payer pour une citoyenneté éclairée dans une démocratie complexe. Heureusement, des organismes comme le Conseil de presse du Québec existent pour encadrer la déontologie journalistique et offrir un recours aux citoyens. Selon son rapport d’activités 2024, sur 147 plaintes déposées, 37% ont été retenues après analyse, preuve que la vigilance citoyenne a un rôle à jouer.

Depuis plus de 50 ans, le Conseil de presse du Québec recueille les plaintes au sujet du travail journalistique. Sur la base de leur Guide en déontologie journalistique, le Conseil analyse ces plaintes et rend des décisions déterminant si elles sont légitimes ou non.

– Conseil de presse du Québec, Rapport d’activités 2024

Cette grille d’analyse n’est pas infaillible, mais elle est un puissant antidote à la consommation passive d’informations. Elle vous équipe pour voir non seulement ce qui est dit, mais aussi ce qui est implicite, ce qui est mis de l’avant et ce qui est laissé dans l’ombre. C’est l’ultime étape pour reprendre le contrôle de votre propre compréhension du monde.

Maintenant que toutes les pièces sont en place, le plus important est de savoir comment les utiliser. Pour consolider votre nouvelle boîte à outils, il est crucial d’intégrer la grille d'analyse finale qui vous servira au quotidien.

Le but ultime de cette démarche n’est pas de vous transformer en un expert des médias, mais de faire de vous un citoyen plus difficile à manipuler. En appliquant systématiquement cette grille d’analyse, vous ne lirez plus jamais les nouvelles de la même façon. Commencez dès aujourd’hui : pour le prochain article que vous lirez, prenez cinq minutes pour répondre à ces questions et observez ce que cela change dans votre perception.

Questions fréquentes sur l’analyse critique des médias québécois

Qui possède le média? (1ère question de la grille d’analyse rapide)

Au Québec, le paysage est dominé par quelques grands acteurs. Savoir si vous lisez un média appartenant à Québecor (Groupe TVA, Journal de Montréal/Québec), à Power Corporation (La Presse), à la société d’État Radio-Canada, ou à un média indépendant est la première clé. Cette propriété influence directement la ligne éditoriale, les ressources allouées et les synergies possibles avec d’autres plateformes.

Est-ce un enjeu fédéral ou provincial? (2ᵉ question)

Cette distinction est fondamentale au Canada. Elle détermine qui sont les acteurs politiques responsables, quelles lois s’appliquent et quelles solutions sont envisageables. Une crise du logement, par exemple, est de compétence provinciale (régie du logement, lois sur le loyer) mais peut impliquer une aide fédérale (via la SCHL). Un article qui brouille ces compétences peut servir à diluer la responsabilité.

Qui sont les ‘bons’ et les ‘méchants’ de l’article? (3ᵉ question)

Tout article narratif construit implicitement une hiérarchie morale. Observez qui est cité longuement et de manière positive, quels experts sont sollicités pour valider une thèse, et quelles solutions sont présentées comme raisonnables ou extrêmes. Cette mise en scène des acteurs est l’un des indices les plus clairs des présupposés du journaliste et de son média.

Quelle émotion principale vise l’article? (4ᵉ question)

L’information n’est pas seulement factuelle, elle est aussi émotionnelle. Un article cherche-t-il à provoquer la peur (ton alarmiste), la colère (ton indigné), l’espoir (ton optimiste) ou l’empathie ? Identifier l’émotion dominante est un choix éditorial qui vise à orienter votre réaction. Un même sujet, comme l’avenir économique du Québec, peut être traité sous l’angle de la peur du déclin ou de l’espoir de l’innovation, selon le média.

Rédigé par Julien Tremblay, Journaliste d'enquête depuis plus de 15 ans, Julien est un spécialiste reconnu de la politique québécoise et de l'analyse des écosystèmes médiatiques. Sa rigueur et sa capacité à synthétiser des enjeux complexes en font une référence.