Illustration symbolique montrant l'interconnexion des empires médiatiques québécois avec des tours de télévision et des câbles de communication
Publié le 16 mai 2024

La plus grande influence des empires médiatiques québécois n’est pas ce qu’ils disent, mais comment ils structurent l’information pour transformer le citoyen en consommateur au sein d’un écosystème fermé.

  • La propriété (Québecor, Bell, Radio-Canada) détermine non seulement la ligne éditoriale, mais aussi une stratégie de convergence qui fusionne information et commerce.
  • La distinction entre un reportage factuel et une chronique d’opinion est délibérément brouillée par le design des plateformes et la starification des chroniqueurs.

Recommandation : Pour reprendre le contrôle, il est essentiel d’apprendre à décrypter activement l’architecture de l’influence derrière chaque nouvelle, de la source originale aux intérêts économiques de l’annonceur.

Chaque matin, en parcourant les nouvelles, vous avez peut-être cette impression de déjà-vu. Une même manchette, un même angle, déclinés sur plusieurs plateformes. Vous savez que de grands groupes comme Québecor, Bell ou Radio-Canada dominent le paysage, mais l’impact réel de cette concentration sur le contenu que vous consommez reste souvent abstrait. On parle de la crise des médias, de la chute des revenus publicitaires, mais ces discussions techniques masquent l’essentiel : la structure de propriété des médias n’est pas une simple information administrative, c’est le moteur principal qui façonne la réalité qu’on vous présente.

L’enjeu n’est plus seulement de savoir si une information est vraie ou fausse. La question fondamentale est devenue : pourquoi cette information-là, et pas une autre ? Pourquoi cet expert, et pas un autre ? Si la clé n’était pas de chercher l’indépendance parfaite, un idéal presque inaccessible, mais de comprendre les mécanismes d’influence pour devenir un lecteur averti, un citoyen critique ? Cet article ne se contentera pas de lister qui possède quoi. Il va décortiquer l’architecture de l’influence. Nous allons plonger derrière le rideau pour analyser comment les modèles d’affaires, les stratégies de convergence et le brouillage des genres journalistiques construisent activement votre perception de l’actualité. Vous découvrirez des outils concrets pour ne plus subir l’information, mais l’analyser.

Pour ceux qui préfèrent une synthèse visuelle, la vidéo suivante résume de manière percutante les enjeux de la concentration des médias et la question cruciale du contrôle de l’information que nous consommons quotidiennement.

Pour naviguer à travers cette analyse détaillée, le sommaire ci-dessous vous guidera à travers les différentes strates de l’influence médiatique au Québec. Chaque section expose une pièce du puzzle, de la structure de propriété aux techniques de cadrage de l’information.

Québecor, Bell, Radio-Canada : qui possède quoi dans le paysage médiatique du Québec ?

Comprendre qui façonne l’opinion publique commence par une cartographie du pouvoir. Au Québec, le paysage médiatique n’est pas un marché ouvert et diversifié, mais un oligopole dominé par une poignée d’acteurs. Trois empires se partagent l’essentiel de l’attention : Québecor, Bell Média et le diffuseur public Radio-Canada/CBC. La domination de Québecor est particulièrement frappante dans le secteur télévisuel francophone. L’empire de la famille Péladeau ne se contente pas d’être un joueur majeur ; il est l’acteur hégémonique. En effet, selon une analyse fouillée, Québecor contrôle plus de 77% de l’écoute télévisée d’information et d’affaires publiques.

Cette concentration n’est pas le fruit du hasard. Elle est le résultat de décennies de décisions réglementaires et de stratégies d’affaires. Une étude du CIRANO révèle que le cadre réglementaire canadien, piloté par le CRTC, a historiquement favorisé la constitution d’empires familiaux, contrairement au modèle américain où les médias sont souvent des filiales de vastes conglomérats. Cette particularité a permis à des familles comme les Péladeau de bâtir un contrôle vertical et horizontal quasi-total sur leurs actifs médiatiques, créant une structure de pouvoir profondément ancrée.

Bell Média, bien que puissant au Canada anglais avec CTV, joue un rôle de challenger au Québec francophone avec son réseau Noovo et ses chaînes spécialisées. Sa force réside principalement dans son infrastructure de télécommunication, qui lui sert de levier. Enfin, Radio-Canada/CBC, avec son mandat public, représente la troisième force, chargée de servir l’intérêt citoyen plutôt que des actionnaires. Cependant, comme nous le verrons, sa capacité à contrebalancer la puissance des empires privés est constamment mise à l’épreuve par des défis de financement et de positionnement. Cette répartition des forces n’est pas statique ; c’est un échiquier où chaque acteur déploie des stratégies pour maximiser son influence.

L’empire Québecor : comment la convergence entre télé, journaux et téléphonie influence l’information

Le véritable pouvoir de Québecor ne réside pas seulement dans la quantité de médias qu’il possède, mais dans la manière dont il les fait interagir. Le groupe a été un pionnier de la stratégie de convergence, un modèle d’affaires qui vise à intégrer toutes ses plateformes (télévision, journaux, magazines, internet, téléphonie mobile) pour créer un écosystème commercial fermé. L’objectif n’est plus seulement de vous vendre une nouvelle, mais de vous garder captif à l’intérieur de l’univers Québecor. Pierre-Karl Péladeau lui-même attribuait dès 2010 le succès financier du groupe à ce modèle qui maximise les revenus tout en réduisant les coûts de production.

Cette convergence crée un parcours client redoutablement efficace. Un reportage choc diffusé sur TVA (télévision) est repris dans le Journal de Montréal (presse écrite), discuté sur les ondes de QUB radio (radio numérique), et promu sur les portails web du groupe. Chaque plateforme agit comme un puissant VRP pour les autres. L’information devient ainsi le produit d’appel pour vendre d’autres services, comme un abonnement à Vidéotron (télécommunications) ou un billet de spectacle via Gestev (événementiel). L’écosystème est conçu pour que le consommateur d’information devienne, presque naturellement, un client pour d’autres services du groupe.

Diagramme montrant comment l'empire Québecor utilise la convergence pour créer un parcours client unique traversant télévision, journaux et services Internet

Ce modèle a des implications profondes pour l’indépendance journalistique. Quand un journaliste du Journal de Montréal doit couvrir un sujet sensible impliquant Vidéotron, la filiale la plus profitable de Québecor, la pression, même implicite, est immense. La convergence n’est pas qu’une stratégie commerciale ; elle est une architecture de l’influence qui subordonne potentiellement l’intérêt public aux impératifs économiques du conglomérat. Le tableau suivant illustre clairement la puissance de frappe de chaque empire, mais seul Québecor a poussé la logique de convergence à ce niveau d’intégration au Québec.

Comparaison des actifs médiatiques des trois empires québécois
Groupe Télévision Presse écrite Télécommunications
Québecor TVA, LCN, 8 chaînes spécialisées, MAtv Journal de Montréal, Journal de Québec, 24h Vidéotron (câble, fibre optique)
Bell Noovo, CTV, 6 chaînes francophones Participations minoritaires Bell Canada (télécom primaire)
Radio-Canada/CBC Ici Radio-Canada, RDI CBC.ca, Radio-Canada.ca Distribution publique

Radio-Canada vs TVA : deux mondes, une seule mission d’informer ?

Si Québecor et Radio-Canada sont les deux géants de l’information télévisée au Québec, leurs modèles et leurs impacts ne pourraient être plus différents. Sur le papier, leur mission est d’informer. Dans la pratique, leurs stratégies divergent radicalement, créant deux réalités médiatiques distinctes. L’asymétrie de leur portée est la première différence fondamentale. Les données du Centre d’études sur les médias sont sans appel : sur le marché crucial de Montréal, le groupe TVA-LCN capte 74% des parts de marché de l’information télévisée, ne laissant que 26% à Radio-Canada/RDI.

Au-delà des chiffres, c’est la philosophie qui diffère. Le modèle de Québecor, axé sur la rentabilité, est fortement centralisé à Montréal. Les enjeux de la métropole dictent l’agenda national de TVA, laissant souvent les régions en périphérie. À l’inverse, le mandat de Radio-Canada impose le maintien de stations régionales fortes, vues comme essentielles à la cohésion sociale et à la vitalité démocratique hors des grands centres. Cette présence locale s’avère un rempart crucial contre les « déserts médiatiques ». Une étude de l’IRIS a documenté la fermeture de 101 médias locaux au Québec entre 2008 et 2024, un phénomène qui frappe de plein fouet les régions où la couverture de TVA est souvent limitée.

Cette différence de mission se reflète dans le traitement de l’information. TVA et LCN privilégient un style plus direct, souvent axé sur le fait divers, l’émotion et le conflit, un format qui maximise l’audimat et, par conséquent, les revenus publicitaires. Radio-Canada, libérée (en partie) de cette pression commerciale, peut se permettre d’investir dans des formats plus longs, des enquêtes de fond et une couverture internationale plus approfondie. Ces deux approches ne sont ni bonnes ni mauvaises en soi, mais elles offrent au public deux visions du monde : l’une façonnée par les impératifs du marché, l’autre par un mandat de service public, lui-même soumis à des pressions politiques et budgétaires constantes.

La même nouvelle, deux réalités : comment La Presse et le Journal de Montréal vous racontent une histoire différente

Si la télévision est dominée par le duel TVA/Radio-Canada, la presse écrite francophone est le théâtre d’un autre face-à-face : celui entre le Journal de Montréal (Québecor) et La Presse (devenu un OBNL, mais historiquement issu de Gesca). Bien que leurs modèles de propriété diffèrent, leur affrontement illustre parfaitement le concept de « cadrage narratif » (framing) : comment un même événement peut être raconté de deux manières radicalement opposées, façonnant ainsi deux perceptions distinctes chez le lecteur.

Ce duopole n’est pas anodin. Comme le soulignait le Conseil de presse du Québec, la concentration du marché est telle qu’elle pose une question démocratique fondamentale.

Au Québec, 96% du marché francophone de la presse écrite quotidienne est contrôlé par deux propriétaires (Quebecor et Gesca). La part de l’esprit critique n’est-elle pas menacée devant cet état de faits?

– Conseil de presse du Québec, Brève histoire de la presse d’information au Québec

Cette domination structurelle permet à chaque média d’imposer son propre cadre de lecture de l’actualité. Une étude sur les genres journalistiques a montré que cette divergence n’est pas accidentelle, mais stratégique. Le Journal de Montréal tend à privilégier les chroniques d’opinion percutantes et les faits divers qui valident une forme d’indignation populaire, adoptant un ton populiste et proche des « gens ordinaires ». À l’inverse, La Presse favorise l’analyse contextuelle, les reportages de fond et les articles explicatifs qui cherchent à décortiquer les causes d’un problème, avec un ton plus institutionnel et analytique.

Comparaison visuelle d'une même nouvelle traitée différemment par deux journaux, montrant comment les cadres narratifs, photos et citations divergent

Prenons l’exemple d’une manifestation. Le Journal de Montréal pourrait titrer sur les « casseurs » et les entraves à la circulation, en donnant la parole à des commerçants excédés. La Presse, pour le même événement, pourrait se concentrer sur les revendications des manifestants, en interrogeant des sociologues pour expliquer les racines du mécontentement. Aucune des deux versions n’est « fausse », mais elles construisent deux réalités incompatibles. Le choix éditorial — l’angle, les sources citées, les photos choisies — prime sur la simple collecte de faits, démontrant que lire la presse, c’est avant tout choisir une grille d’interprétation du monde.

Éditorial ou reportage ? L’erreur que 80% des lecteurs commettent en ligne et qui menace la démocratie

Le problème du cadrage narratif est amplifié par un phénomène encore plus insidieux : le brouillage des genres journalistiques. De plus en plus de lecteurs, particulièrement en ligne, peinent à distinguer un reportage factuel (qui rapporte des faits vérifiés) d’une chronique ou d’un éditorial (qui exprime une opinion). Cette confusion n’est pas seulement le fait d’une inattention du public ; elle est encouragée par l’architecture même des plateformes d’information modernes. Les journalistes eux-mêmes s’inquiètent de cette tendance, qui mine la crédibilité de leur profession.

Dans sa thèse de doctorat sur l’objectivité, le chercheur Guy Parent met en lumière ce malaise :

Les journalistes voient très bien ces changements et déplorent la confusion qu’ils suscitent, avec la multiplication des opinions, de la chronique et du reportage, achevant de brouiller les rôles entre opinioniste et journaliste d’investigation.

– Guy Parent, L’Objectivité journalistique, thèse de doctorat UQAM, 2021

Plusieurs facteurs expliquent ce brouillage. D’abord, l’ergonomie des sites web et des applications mobiles. Un article d’opinion et un reportage d’enquête ont souvent la même police de caractères, la même mise en page, et apparaissent l’un après l’autre dans le même flux continu. Les marqueurs visuels qui distinguaient autrefois les « pages opinions » des « pages actualités » dans un journal papier ont disparu. Ensuite, les algorithmes des médias sociaux et des agrégateurs comme Google News accentuent le phénomène. Ils ne hiérarchisent pas le contenu selon son genre éditorial, mais selon son potentiel d’engagement (clics, partages, commentaires), favorisant souvent les opinions tranchées et polarisantes au détriment des analyses nuancées.

Enfin, la starification des chroniqueurs parachève cette confusion. Invités sur les plateaux de télévision non pas comme des « opinionistes » mais comme des « experts », leur parole acquiert un statut de vérité factuelle. L’opinion se déguise en analyse, et le lecteur non averti consomme un point de vue en pensant absorber des faits bruts. Cette incapacité à distinguer l’opinion de l’information factuelle représente une menace directe pour le débat démocratique, car un dialogue constructif ne peut s’établir que sur une base de faits partagés.

Comment un journal local gagne-t-il de l’argent (et pourquoi il n’y arrive plus)

La concentration massive des médias dans les mains de quelques empires ne s’explique pas seulement par des stratégies d’acquisition, mais aussi par l’effondrement du modèle économique de la presse locale et indépendante. Comprendre cette crise est essentiel, car chaque journal local qui ferme est un contre-pouvoir qui disparaît, laissant le champ encore plus libre aux grands conglomérats. Traditionnellement, un journal local reposait sur deux piliers de revenus : la vente au numéro ou par abonnement, et surtout, la publicité locale (le concessionnaire automobile, l’épicerie du coin, les petites annonces).

Ce modèle a été pulvérisé par l’arrivée d’Internet et des géants du numérique comme Google et Facebook. Ces plateformes ont capté la quasi-totalité du marché publicitaire en ligne, offrant aux annonceurs un ciblage beaucoup plus précis et un retour sur investissement plus facile à mesurer. Privés de leur principale source de revenus, les journaux locaux ont entamé une spirale mortifère : moins de revenus publicitaires signifie moins de journalistes, ce qui entraîne une baisse de la qualité et de la quantité de l’information produite, menant à une perte de lecteurs, et donc à une attractivité encore plus faible pour les annonceurs restants. Le résultat est une hécatombe, comme le cite une recherche de l’Université Concordia : entre 2008 et 2021, ce sont 104 médias qui ont disparu, fusionné ou sont passés en ligne au Québec.

Les conséquences de cette désertification médiatique sont dramatiques, non seulement pour la démocratie locale, mais aussi pour la cohésion sociale. Un tableau produit par la FNCC-CSN montre une corrélation directe et alarmante : à mesure que le nombre de journaux diminue, la part de la population québécoise vivant dans une municipalité sans accès à un média local explose.

Voici un tableau illustrant l’évolution de la couverture médiatique régionale et la baisse des revenus publicitaires, basé sur des données compilées dans une présentation de la FNCC-CSN.

Évolution des revenus publicitaires et baisse de couverture médiatique régionale
Année Journaux quotidiens québécois MRC desservies Population sans accès médias
2010 17 69 907 296 (11%)
2023 14 56 1 647 504 (19%)
Variation -18% -19% +82%

Sans journal local pour couvrir le conseil municipal, les projets de développement ou les enjeux communautaires, les citoyens sont moins informés et moins engagés, laissant le champ libre à la désinformation et aux décisions prises en coulisses. C’est dans ce vide que l’influence des grands médias nationaux, souvent déconnectés des réalités locales, devient encore plus écrasante.

L’argent de l’État dans les journaux : une aide essentielle ou une menace à l’indépendance ?

Face à l’effondrement du modèle d’affaires de la presse, une solution semble s’imposer : l’intervention de l’État. Au Québec comme ailleurs, des programmes d’aide ont été mis en place pour soutenir les médias, notamment à travers des crédits d’impôt sur la masse salariale ou des subventions pour la transformation numérique. Le gouvernement du Québec a par exemple annoncé des investissements de 30 millions de dollars sur 5 ans dans son budget 2024-2025 pour aider la presse écrite. L’intention est louable : garantir la survie d’un écosystème médiatique diversifié, considéré comme un pilier de la démocratie. Mais cette aide soulève un paradoxe fondamental.

L’aide financière de l’État peut-elle réellement garantir l’indépendance des médias ? En théorie, elle les libère de la pression des annonceurs et des impératifs de rentabilité à court terme. Mais elle crée une autre forme de dépendance, cette fois-ci politique. Un média qui dépend des subventions gouvernementales pour survivre sera-t-il aussi enclin à mener des enquêtes critiques sur ce même gouvernement ? Comme le résument des chercheurs de l’IRIS, « il n’existe pas d’indépendance ‘pure' ». L’aide de l’État est un arbitrage constant entre l’indépendance face au marché et l’indépendance face au pouvoir politique.

Le débat se complexifie encore davantage lorsqu’on observe que les programmes d’aide eux-mêmes deviennent un enjeu de pouvoir et de lobbying. Une étude de cas sur les négociations à Ottawa a montré que les grands empires médiatiques, Québecor en tête, déploient des efforts considérables pour façonner les critères de ces programmes à leur avantage. Ils argumentent pour des modèles d’aide qui favorisent les grands joueurs au détriment des petits médias indépendants. La question cruciale devient alors : l’aide publique sert-elle à maintenir un écosystème diversifié, ou devient-elle un outil qui, paradoxalement, renforce la concentration du pouvoir entre les mains des acteurs déjà dominants ? Le « chien de garde » de la démocratie risque de devenir un « chien de poche » du pouvoir, qu’il soit économique ou politique.

À retenir

  • La structure de propriété des médias (Québecor, Bell, Radio-Canada) n’est pas neutre : elle détermine directement la stratégie commerciale et éditoriale, notamment via la convergence.
  • La stratégie de convergence de Québecor transforme l’information en un produit d’appel pour un écosystème commercial plus large (télécoms, événementiel), créant des conflits d’intérêts potentiels.
  • La confusion entre le reportage (faits) et la chronique (opinion) est amplifiée par le design des plateformes numériques et la starification des chroniqueurs, ce qui affaiblit la capacité du citoyen à se forger une opinion éclairée.

Derrière le rideau médiatique : comment analyser la couverture d’un événement pour comprendre ce qu’on ne vous dit pas

Maintenant que nous avons décortiqué l’architecture de l’influence médiatique, il est temps de passer à l’action. Être un citoyen informé au 21e siècle ne consiste plus à consommer passivement les nouvelles, mais à devenir son propre « chien de garde ». Cela implique de développer un regard critique et d’utiliser des outils d’analyse pour décrypter ce qui se cache derrière chaque article, chaque reportage. Une des couches d’influence les plus opaques est celle des relations publiques (RP). De plus en plus, le travail journalistique ne consiste plus à collecter l’information, mais à trier, interpréter et reformuler le contenu pré-mâché fourni par des agences de RP.

Une étude de l’UQAM a révélé un système encore plus sophistiqué : les grandes agences de RP gèrent de véritables « écuries » de commentateurs et d’experts. Ces derniers sont placés stratégiquement dans les médias pour défendre les intérêts de leurs clients, créant l’illusion d’un débat d’idées diversifié alors qu’il est en réalité orchestré et hautement concentré. L’étude montre que certains de ces « experts » apparaissent dans une majorité des couvertures télévisées sur des sujets d’intérêt public, non pas pour leur expertise objective, mais grâce au carnet d’adresses de leur agence.

Analyser une nouvelle, c’est donc jouer au détective. Qui sont les experts cités ? Qui les paie ? Quelle est la source originale de l’information ? S’agit-il d’un communiqué de presse à peine modifié ? Quels aspects du sujet sont passés sous silence ? Qui sont les annonceurs du média ? Ces questions sont les clés pour percer le rideau de fumée et évaluer la fiabilité et l’angle d’une information. Le plan d’action suivant vous donne une méthode en cinq étapes pour commencer cet exercice d’hygiène informationnelle.

Votre plan d’action pour décrypter l’information

  1. Identifier la source originale : Retrouvez le communiqué de presse ou le rapport initial. L’article est-il une copie conforme ou le fruit d’une enquête indépendante ?
  2. Analyser le profil des experts : Vérifiez l’employeur et les affiliations de chaque « expert » cité. Sont-ils des chercheurs indépendants ou des consultants liés à une industrie ?
  3. Comparer la couverture : Lisez comment la même nouvelle est traitée par La Presse, le Journal de Montréal et Radio-Canada. Les différences d’angle, de sources et de vocabulaire sont révélatrices.
  4. Examiner les silences : Demandez-vous quels aspects du sujet ne sont pas abordés et qui aurait pu être interviewé mais ne l’a pas été. L’absence d’une voix critique est souvent un signal.
  5. Tracer les annonceurs : Regardez les publicités qui entourent l’article. Les annonceurs majeurs du média ont-ils des intérêts directs dans le sujet traité ?

En appliquant systématiquement ces outils d’analyse, vous ne vous contenterez plus de lire les nouvelles. Vous apprendrez à lire entre les lignes, à identifier les agendas cachés et à évaluer la véritable valeur d’une information. C’est en devenant un lecteur actif et exigeant que vous reprendrez le pouvoir sur votre propre opinion.

Rédigé par Julien Tremblay, Journaliste d'enquête depuis plus de 15 ans, Julien est un spécialiste reconnu de la politique québécoise et de l'analyse des écosystèmes médiatiques. Sa rigueur et sa capacité à synthétiser des enjeux complexes en font une référence.